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Le livre du jour

“Le Grand Dérangement”, d’Amitav Ghosh

Hannah Attar publié le 25 janvier 2021 4 min

Le 17 mars 1978, l’écrivain indien Amitav Ghosh se retrouve, par le hasard d’un banal changement de programme, en plein cœur de la première tornade à frapper Delhi. Un événement que jamais il n’a su relater dans ses livres : les ficelles auraient paru trop grosses. De tels événements, saisissants par leur puissance et leur imprévisibilité, et véritables démonstrations de force de la nature, constellent pourtant le paysage médiatique et s’imposent peu à peu comme notre horizon commun. 

La crise climatique n’en reste pas moins la grand absente de la littérature, du cinéma et des arts en général. Comment comprendre cette difficulté qu’ont les artistes à relater les catastrophes ? Pourquoi le sujet est-il appréhendé soit sous l’angle du documentaire, soit sous celui du fantastique  – à l’instar du blockbuster Le Jour d’après (réalisé par Roland Emmerich en 2004) ? À partir de ce constat, Amitav Ghosh présente avec Le Grand Dérangement (Wildproject, 2021, 250 p., 20 €) un essai stimulant et informé, qui aborde la question de la crise climatique sous l’angle des récits : ceux qui n’arrivent pas à émerger et ceux qui nous ont fermé les yeux. 

La période trouble que nous traversons, alors que des forces que l’on pensait avoir maîtrisé et évacué de nos imaginaires se rappellent à nous avec violence, pourrait bien être celle du « grand dérangement ». 

« La crise climatique est aussi une crise de la culture, et donc de l’imagination »

Ghosh remonte le long des fils qui ont tissé puis enserré nos imaginaires collectifs, les empêchant aujourd’hui de penser la réalité de la crise climatique. Cela tient d’abord au style narratif qui s’est imposé avec le roman moderne. En prenant pour objet central la vie quotidienne dans sa régularité, comme chez Jane Austen, le roman a évacué l’inédit qui irriguait les récits plus anciens, des Milles et Unes Nuits à l’Odyssée. 

Le roman accompagne donc le processus de « rationalisation » propre à la modernité, et décrit par Max Weber, qui s’articule autour de l’univers bourgeois. La nature est, elle, décrite comme modérée, et ses « bonds » n’ont plus leur place dans le récit. Une conception que le réchauffement climatique vient bousculer, injectant de l’improbabilité dans ce qu’on pensait avoir fait taire. Les autres artistes – des architectes qui construisent des tours de verre aux chanteurs – ne sont pas en reste. Pris dans le piège de « l’imagination individualisante » qui entend creuser la singularité et l’authenticité de chacun, ils ont été tout autant incapables de s’emparer de la question climatique, bannissant de leur horizon les destins collectifs. 

L’avant-garde, tout en décriant l’ordre établi, continue finalement d’en véhiculer les moeurs, illustrant ce que Guy Debord désignait comme « l’insatisfaction devenue marchandise ». 

« Me reconnais-tu, où que tu sois ? »

Ainsi Amitav Ghosh fait parler le fleuve qui a délogé ses grands-parents de leur Bangladesh natal en inondant leur village, les contraignant à la migration, bien avant que le terme d’exilés climatiques ne soit formalisé. Les phénomènes météorologiques inédits apparaissent comme la voix retrouvée d’une nature écartée des imaginaires collectifs. 

À chaque catastrophe climatique se joue alors une « reconnaissance » : la réminiscence de la conscience perdue du caractère impétueux de la nature. La reconnaissance est ce qui « émane d’une prise en compte réactualisée d’une puissance qui réside au coeur de soi » – avec la crise climatique, elle est le retour par effraction de récits ancestraux enfouis par la modernité. 

Le voici, le grand dérangement : il est l’ombre grandissante de « l’inquiétante étrangeté », où le familier devient menaçant. Il réside « dans ces rencontres où nous reconnaissons quelque chose dont nous nous étions détournés : la présence et la proximité d’interlocuteurs non humains ». 

Comment renouveler nos imaginaires ?

Fonder de nouveaux récits qui donnent sa place nécessaire à la crise climatique est le défi que nous avons à relever. Cela implique de revenir sur un certain nombre de totems politiques et moraux, qui constituent le socle de nos sociétés modernes. À commencer par la liberté individuelle absolue, valeur cardinale sur laquelle il paraît désormais impossible de fonder une réponse à l’urgence climatique. 

Sur le plan politique, il s’agit aussi de faire un autre récit de la crise climatique elle-même. Non, elle n’est pas simplement due à l’industrialisation occidentale et au capitalisme – ce qui reviendrait à en faire un problème occidental. Elle est la conséquence de l’impérialisme et un enjeu global. 

En prenant comme terrain la construction des imaginaires, Ghosh évite toutefois l’écueil des poncifs. Il invite plutôt à une entreprise régénératrice, qui s’emploie d’abord à faire tomber un mythe d’autant plus puissant qu’il n’en a pas l’allure : celui de la modernité toute puissante, qui se fonde sur une description si parfaite et objective du monde qu’elle est aujourd’hui incapable d’en saisir la réalité nouvelle. Renouveler les imaginaires, faire le récit d’autres formes d’existences humaines, voici le grand projet de nos artistes, et de notre temps.

 

Le Grand Dérangement. D’autres récits à l’ère de la crise climatique, d’Amitav Ghosh (traduction de l’anglais de Morgane Iserte et Nicolas Haeringer) est paru dans la collection « Le Monde qui vient » des Éditions Wildproject. Il est disponible sur le site de l’éditeur, ainsi que chez votre libraire.

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