Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© Unsplash

Le médecin imaginaire

Le charme discret du Doliprane

Clara Degiovanni publié le 02 mai 2022 5 min

Depuis quelque temps, le Doliprane vient à manquer dans certaines pharmacies. La faute au Covid-19, mais aussi à une consommation de plus en plus importante de la molécule qui le compose, le paracétamol, dont les ventes ont augmenté de 53% en 10 ans. Il est même la substance active la plus vendue en France selon l’Agence nationale de sécurité du médicament.

D’où vient cet engouement ? Pourquoi la prise du Doliprane est-elle si banalisée, au point parfois de risquer des surconsommations causant de graves inflammations du foie ? Peut-être parce que l’on considère (à tort) que cet antalgique n’est pas vraiment un médicament. Il serait plutôt une sorte de « pré-remède », que l’on prend pour éviter d’aller consulter un médecin. L’anthropologie éclaire notre rapport étonnant à ce médicament. 

Le médicament de ceux qui sont en bonne santé

Normalement, la nécessité de se soigner par un traitement rend la maladie tangible. Selon l’anthropologue américaine Susan Reynolds Whyte, enseignante au Danemark et spécialisée dans l’étude pharmacologique, l’acte même de prendre un médicament nous emmène à « concrétiser le problème », « en nous faisant prendre conscience que nous sommes malades ». Mais le Doliprane ne produit pas exactement le même effet. Au contraire, il a plutôt tendance à esquiver cette prise de conscience. Si ma douleur passe avec un petit coup de paracétamol, ce n’est pas si grave, peut-on se dire parfois.

Quand il n’est pas combiné à une flopée d’autres traitements prescrits par le médecin, le Doliprane a même quelque chose de rassurant. La molécule synthétique de paracétamol que contient le Doliprane possède des propriétés antalgiques (contre les douleurs) et antipyrétiques (anti-fièvre). Exception faite des personnes souffrant de problèmes au foie (insuffisance hépato-cellulaire, alcoolisme), il est peu contre-indiqué et jouit d’une très bonne image auprès du public. Celui qui n’a besoin que d’un peu de paracétamol pour aller mieux ne se considère pas comme étant vraiment malade. Il est simplement « patraque », un peu « dérangé ». Il n’a pas à se confronter à la froideur d’un diagnostic et à la rigueur d’un protocole de soin. Il peut continuer sa vie sans trop d’inquiétude. Ainsi le Doliprane apparaît-il comme un médicament « test » : celui que l’on prend avant de prendre réellement les choses au sérieux – un  « pré-médicament». Cet allié des fièvres légères et des migraines passagères nous renvoie donc souvent, en réalité, à notre relative bonne santé.

Une fonction libératrice

Le Doliprane appartient à la pharmacopée de toutes les familles. S’il est interdit à la vente libre depuis 2020 (il faut désormais passer par le comptoir du pharmacien pour s’en procurer), il a longtemps été le médicament auto-prescrit. Il est encore très souvent envisagé comme le médicament par excellence que l’on a toujours dans sa trousse à pharmacie, et que l’on peut distribuer sans sourciller pour soulager les petits bobos, sans avoir besoin de passer par un médecin. Ce comprimé (ou petit sachet) est à ce titre le garant d’une forme d’indépendance et d’autonomie face à la douleur. C’est, toujours selon Susan Reynolds Whyte, l’un des pouvoirs de certains produits pharmaceutiques. « Ils brisent l’hégémonie des professionnels et permettent aux patients de s’aider eux-mêmes. » Là où, à l’extrême inverse, l’acte chirurgical renvoie immédiatement au domaine « ésotérique et professionnel » de la médecine hyper-spécialisée, le Doliprane apparaît comme « démocratique et exotérique » : à la portée de tous. C’est la raison pour laquelle il fait partie de ces « médicaments dotés d’un pouvoir libérateur ». Il permet aux gens de s’émanciper des brefs assauts de leur propre corps, des petites déconvenues et du mal-être localisé, pour poursuivre tranquillement leurs activités. Pour Whyte, c’est ce qui fait « le charme », « la désirabilité » de ce type de médicaments. Ils nous donnent une forme de maîtrise sur notre organisme et ses douleurs transitoires.

Le danger de l’excès

Néanmoins, nombre de professionnels de santé attirent depuis plusieurs années notre attention sur les dangers, très graves, du surdosage. Depuis 2009, une campagne d’aide à l’automédication a été réalisée pour alerter notamment contre les risques d’hépatites liés à l’intoxication au paracétamol. Cette tendance à abuser du Doliprane et de ses dérivés dévoile plus largement le rapport particulier que nous entretenons avec la douleur. Celle-ci n’est plus vécue comme une alerte, comme le signe d’autre chose, mais comme un dérangement, qui doit cesser le plus rapidement possible. L’anthropologue américain Byron Good, enseignant à Harvard et spécialisé dans l’anthropologie médicale et psychiatrique, le dira d’une façon imagée : « La douleur, joue un rôle – celui de démon, de monstre tapi au fond du corps et qui cogne de l’intérieur ». En prenant un Doliprane, on insonorise la pièce, on bâillonne « le monstre » mais on ne soigne pas la cause de la maladie. Lorsqu’on fait taire immédiatement la douleur, on ne prend plus l’habitude de se questionner sur nos habitudes, nos réflexes : sur ce qui peut causer cette alerte douloureuse. Je suis en train de travailler devant mon ordinateur, je prends un comprimé pour soulager mon mal de tête… au lieu de faire une pause ou d’arrêter de travailler, par exemple. 

Une rassurante solidité

Certes, le Doliprane se distingue des remèdes uniquement disponibles sur ordonnance en premier lieu parce qu’il nous évite, parfois, de passer chez le médecin. Mais il emprunte aux autres pilules une qualité non négligeable : sa matérialité. Le médicament, qui est une « chose » solide et palpable rend l’acte de soin tangible, explique Whyte. À ce titre, la pilule que l’on avale forme dans l’imaginaire collectif « le noyau dur » de la thérapie. Au point, dit-elle, qu’une « clinique sans médicament » serait comme « un bar sans bière ». Sa forme effervescente, parfumée aux agrumes, brise sa matérialité mais renforce son côté « boisson énergisante ». On avale parfois un Doliprane (presque) comme on boirait un jus d’orange. Cette prise systématique voire irréfléchie d’un antidouleur puissant témoigne d’une crainte plus profonde : la peur de n’avoir pas vraiment besoin de médicament pour se soigner. L’idée de changer notre mode de vie pour aller mieux semble moins efficace et plus incongrue que la prise concrète et expéditive d’une petite pilule, ou d’un verre d’eau médicamenteuse aromatisée à l’orange…

Expresso : les parcours interactifs
Quel(le) amoureux(se) êtes-vous ?
Quel est votre profil d'amant(e) ou d'amoureux(se) ?
Faites-vous primer le désir comme Spinoza, la joie à l'instar de Platon, la liberté sur les pas de Beauvoir, ou la lucidité à l'image de Schopenhauer ? Cet Expresso vous permettra de le déterminer !
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
3 min
Un pharmakon psychédélique ?
Isabelle Sorente 03 juin 2021

Utiliser des drogues psychoactives pour refermer les portes de la dépression en plus d’ouvrir celles de la perception ? De nombreux médecins et…

Un pharmakon psychédélique ?

Article
6 min
Affaire Sanofi : la santé est-elle un marché comme un autre ?
Cédric Enjalbert 20 mai 2020

Parce que les États-Unis ont financé un projet de vaccin contre le Covid-19, devraient-ils être les premiers à en profiter, comme l’a affirmé Paul…

Affaire Sanofi : la santé est-elle un marché comme un autre ?

Article
4 min
Jean-Claude Fondras : “La médecine n’a pas fait disparaître la dimension tragique de la vie”
Thomas Personne 28 mai 2015

Parce qu’ils ne séparent pas le soin de l’âme de celui du corps, les philosophes n’ont eu de cesse, depuis l’Antiquité, de prodiguer conseils et remèdes menant à la « grande santé ». Avec le médecin et philosophe Jean-Claude Fondras,…


Article
3 min
Lévi-Strauss et l’anthropologie sociale
Frédéric Manzini 16 août 2023

Dans la conclusion de sa leçon inaugurale au Collège de France, le 5 janvier 1960, Lévi-Strauss justifie la création tardive de la chaire d’anthropologie sociale et, se demandant si elle n’est pas une « séquelle du…


Article
2 min
Bactéries, l’avenir du médicament ?
Octave Larmagnac-Matheron 02 décembre 2021

Soigner avec des bactéries ? L’idée est un peu folle mais est en train d’être expérimentée par une équipe de chercheurs. C’est en tout cas une…

Bactéries, l’avenir du médicament ?

Article
4 min
La pharmacie de Platon
19 septembre 2012

L’engouement actuel pour la philosophie se nourrit de l’espoir qu’elle peut résoudre nos problèmes existentiels. Or, la rencontre avec certains philosophes est un choc parfois dangereux… Si la pharmacopée philosophique est en vente…


Entretien
11 min
Vincent Descombes. « Le plaisir de se battre avec l’obscur »
Nicolas Truong 25 mars 2009

Discret, Vincent Descombes est pourtant l’auteur d’une œuvre majeure, tout entière tournée vers une philosophie analytique qui saurait ne pas se cantonner au seul langage. De sa découverte des dialogues de Platon à l’aventure du groupe…


Article
6 min
Le charme discret du Talmud
Philippe Chevallier 21 septembre 2012

C’est l’un des courants souterrains de la philosophie contemporaine : nourris par la phénoménologie allemande et marqués par la Shoah, trois penseurs majeurs du XXe siècle, Emmanuel Levinas, Jacques Derrida et Benny Lévy, ont entretenu,…


À Lire aussi
Éric Charmes/Michel Lussault. La campagne va-t-elle prendre sa revanche sur la ville ?
Éric Charmes/Michel Lussault. La campagne va-t-elle prendre sa revanche sur la ville ?
Par Martin Duru
mai 2020
Angélique Del Rey : “Cette pandémie devrait être l’occasion de réfléchir différemment à la santé humaine”
Angélique Del Rey : “Cette pandémie devrait être l’occasion de réfléchir différemment à la santé humaine”
Par Alexandre Lacroix
décembre 2020
Crystal meth. La drogue du surhomme
Par Ronald Düker
mars 2014
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Le charme discret du Doliprane
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse