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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Sammy Williams/Pixabay

Mise au point

Le bullshit ne passera pas !

Denis Moreau publié le 14 décembre 2020 4 min

Les bullshit jobs, ou « jobs à la con », ce sont tous ces emplois qui ne servent à rien ou presque, et n’ont aucun sens aux yeux de ceux qui les exercent. L’expression, devenue fameuse, est née sous la plume de l’anthropologue britannique David Graeber, disparu au mois de septembre. La lecture de cette enquête aussi fouillée qu’engagée – Graeber était anarchiste – a enthousiasmé le philosophe Denis Moreau, spécialiste de Descartes et enseignant à l’université de Nantes. Elle l’a aussi amené à s’interroger sur la nature de son propre métier, universitaire.

Le métier d’enseignant-chercheur serait-il devenu un « job à la con » ? Si cette activité emplit toujours Denis Moreau de joie dans sa composante pédagogique et scientifique, elle a également perdu de sa valeur du fait d’une invasion de tâches superflues : commissions et conseils en tous genres, plan quinquennaux, rapports d’évaluation, d’auto-évaluation, référentiels de compétences, etc. Autant de « foutaises » qui font dire à cet universitaire rationaliste et catholique qu’une vigilance particulière s’impose à l’avenir. Sa résolution pour 2021 sera donc de « redoubler d’efforts pour bien enseigner, bien chercher, et lutter autant que possible pour ne pas [me] laisser bullshitiser. » Le combat ne fait que commencer !

 

« Avec un certain retard sur bien d’autres, puisque l’ouvrage est un best-seller mondial, je viens de terminer la lecture de Bullshit Jobs de David Graeber (Les Liens qui Libèrent, 2018). Il y a longtemps qu’un livre ne m’avait pas autant à la fois appris, fait réfléchir et amusé – l’auteur, hélas disparu en septembre dernier, n’étant pas dénué d’humour. La thèse défendue est simple : pour diverses raisons économiques et psychologiques présentées et analysées dans le livre, les “jobs à la con”, c’est-à-dire des métiers qui, de fait, ne servent à rien ou presque, sont en croissance exponentielle dans les sociétés occidentales, et ce aussi bien dans le secteur public que privé. Ce constat me semblait initialement plutôt farfelu, mais le livre l’étaie de façon tout à fait convaincante, par le recueil de nombreux témoignages et l’analyse de différents métiers dans des domaines très divers (finance, services, administrations, vente à distance, cabinets d’avocats, etc.).

Ce constat se double d’une thèse peut-être plus discutable mais assez inquiétante, que Graeber fonde notamment sur des expériences de psychologie des enfants : c’est l’un des besoins fondamentaux de l’être humain que de sentir qu’il produit quelque chose ou sert à quelque chose, et la multiplication des jobs à la con va donc de pair avec (et explique en partie) l’épidémie de dépressions qui frappe nos sociétés. L’ouvrage se termine par un beau plaidoyer pour l’instauration d’un revenu d’existence : plutôt que de laisser les gens déprimer en n’étant pas très bien payés dans des jobs qui ne servent à rien, il serait profitable à tout le monde (à la société comme aux personnes) que chacun puisse bénéficier d'un minimum vital qui lui permette de se consacrer à des activités qui ont du sens, comme peindre, militer, participer à des activités associatives, etc.

Anarchiste proclamé, Graeber possède à l'évidence une conception assez optimiste de la nature humaine, que je ne suis pas sûr de partager totalement (mais convenons que ce serait heureux qu’il ait raison !). Il se dit convaincu que, dotée d’un revenu d’existence, la majorité des gens, justement parce qu’elle a fondamentalement besoin de produire quelque chose, ne sombrerait pas dans la paresse et l'oisiveté, mais chercherait à faire quelque chose de plus utile et significatif que ce auquel elle s’emploie actuellement. Et bien sûr, cela n’empêcherait pas ceux qui le souhaitent de continuer à travailler, pour gagner plus ou pour quelque autre raison que ce soit. Mais ici encore, tout cela m’a conduit à envisager sous un nouveau jour ce thème du revenu d’existence, que je trouvais jusque-là plutôt saugrenu.

Et enseignant-chercheur : un bullshit job ? De te fabula narratur [“C’est toi qui est représenté dans ce récit”] ! Ce livre m’a aussi fait réfléchir sur ma propre condition d’enseignant-chercheur à l’université. À plusieurs reprises, Graeber prend en effet comme exemple le métier d’universitaire, et plus largement toutes les activités d’enseignement. En son essence (enseigner et chercher), Graeber estime qu’universitaire est un métier plein de sens, qui n’a donc rien d’un job à la con. Si j’en crois ma propre expérience, je confirme avec joie que c’est parfaitement vrai. Mais Graeber explique aussi que l’évolution technocratico-managériale que connaissent les universités depuis une trentaine d’années fait que le métier d’universitaire se retrouve “en voie de bullshitisation”, ce qui se traduit par la multiplication de tâches et d’activités administratives plus ou moins absurdes (commissions et conseils en tous genres, plan quinquennaux, rapports d’évaluation, d’auto-évaluation, référentiels de compétences, etc., j’en passe et des meilleures dans le genre “foutaises”) et très chronophages, qui rognent donc de plus en plus sur le temps consacré aux aspects signifiants de ce métier. 

Hélas ! Ma propre expérience – j’ai commencé à enseigner à l’université dans les années 1990, et j’ai donc vu le phénomène se mettre en place et se déployer – confirme complètement ce diagnostic. Cela pourrait être assez déprimant, mais je vais une fois de plus essayer de suivre les bons conseils de Spinoza, en l’occurrence : “Toujours prêter attention à ce qu’il y a de bon dans chaque chose, afin qu’ainsi ce soit toujours un affect de joie qui nous détermine à agir.” (Éthique V, 10, scolie de la proposition). Puisque le moment va arriver de prendre de bonnes résolutions de début d’année, voici quelle sera la mienne : dans la grosse décennie qu’il me reste avant ma retraite et dans l’exercice de ce si beau métier qui est le mien, je vais redoubler d’efforts pour bien enseigner, bien chercher, et lutter autant que je le peux pour ne pas me laisser bullshitiser. »

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