L’art d’être (in)fréquentable

Depuis que l’on peut enfin se voir et se revoir souvent, on veut montrer une face avenante et sympathique de notre personne. Mais après tous ces mois de confinements, vous avez peur d’être devenu infréquentable ? Pas de panique. Dans un texte issu de ses Maximes et Réflexions diverses (1665), La Rochefoucauld, moraliste facétieux, nous explique ce qu’il ne faut surtout pas faire lorsqu’on veut paraître sympathique lors des diners mondains. 

Voici une petite leçon – un peu cruelle mais tout à fait savoureuse – de savoir-être en société.

Ce qu’il ne faut pas faire lorsqu’on veut être de bonne compagnie 

1/Se prendre pour un psy 

Pour se faire apprécier des autres, il faut savoir être empathique. Cette qualité se présente chez La Rochefoucauld comme une finesse dans l’art de percevoir et de prévoir les besoins d’autrui, d’anticiper ses réactions au fil de la conversation en ménageant toujours sa sensibilité. Sans ce « bon sens » et ces « égards », toute forme de sociabilité est impossible. Mais attention à ne pas vouloir à tout prix sauver autrui de son mal-être. On ne peut pas « prétendre arracher tout d’un coup » les chagrins de nos semblables. Il faut donc rester humain, mais sans se prendre pour un psychologue, car, selon le moraliste, « il y a de la politesse, et quelquefois même de l’humanité, à ne pas entrer trop avant dans les replis du cœur ». Si l’on veut être apprécié, il faut donc éviter l’excès de compassion, qui se transforme très souvent en  complaisance, voire en pitié. 

2/Prendre toute la place  

On dit que les gens charismatiques ont une « présence » mystérieuse : c’est ce qui fait leur charme et leur sympathie. Mais il faut faire attention à ne pas faire déborder cette présence, jusqu’à donner l’impression que l’on cherche constamment à attirer l’attention sur nous. Car la vie sociale peut être particulièrement cruelle, prévient La Rochefoucauld. Même si l’on a l’impression que les autres nous apprécient, « on doit se souvenir qu’on incommode souvent, quand on croit ne jamais pouvoir incommoder ». Le charismatique, à l’inverse du prétentieux, sait se faire discret. Nul besoin, donc, de prendre toute la place pour se faire aimer. 

3/Ne pas savoir prendre congé 

Être « trop là » c’est aussi souffrir à la moindre séparation, envahir constamment l’espace physique et psychique des autres. Or selon l’auteur des Maximes, « il faut se pouvoir passer les uns des autres, si on ne veut pas s’exposer à embarrasser quelquefois ». La sociabilité est à cet égard un art de la juste distance, qu’il faut parfois ré-apprendre dans les élans de retrouvailles frénétiques propres à cette période. Le consentement marche aussi en amitié : on a le droit de refuser d’aller boire un café, de ne pas participer à la soirée de nos collègues sans se le voir reprocher. « Il faut se voir ou ne se voir point sans sujétion », enseigne La Rochefoucauld. Pour ne pas peser sur les membres en présence, la sociabilité doit être joyeuse et libre. 

4/Être trop honnête 

Effectivement, il n’y a que la vérité qui blesse. Alors pourquoi la balancer sans ménagement ? Contre ceux qui sont fiers de dire tout haut ceux que les autres pensent tout bas, La Rochefoucauld enjoint tout un chacun à mesurer sa franchise. « On veut être averti jusqu’à un certain point, mais on ne veut pas l’être en toute chose, et on craint de savoir toutes sortes de vérités », prévient-il. C’est surtout le cas pour les vérités qui nous concernent, car nous voulons maitriser notre image : « chacun à son point de vue d’où il veut être regardé » et « on a raison le plus souvent, de ne pas vouloir être éclairé de trop prêt » assène l’auteur des Maximes. Quand vous sentez que le moment de révélation que vous allez déclencher à propos de quelqu’un d’autre va être désagréable, c’est souvent le signe qu’il faut s’abstenir. 

En société, préférez donc la finesse de la pudeur à l’éclat de la vérité. Et si vous trouvez tout cela un peu hypocrite, et bien… vous avez sans doute raison ! Mais cet éloge de l’hypocrisie est pleinement assumé par La Rochefoucauld, qui considère que ce défaut est « un hommage que le vice rend à la vertu ».