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© Michel Galvin pour PM

Journal de bord

L’Animal, de Philippe Claudel

Nicolas Grimaldi publié le 02 octobre 2012 11 min

Au journal télévisé, un homme voit une scène de guerre. Il ne parvient plus à l’oublier... Partant de là, le romancier Philippe Claudel a tissé une nouvelle. Le philosophe Nicolas Grimaldi commente.

C’était un peu toujours le même matin : il se levait à 7 heures, allait à la cuisine pour mettre en route la machine à café puis se rasait, se douchait, enfilait des vêtements propres qu’il avait préparés la veille au soir sur une chaise de sa chambre, beurrait deux tartines de pain de mie, versait le café dans une tasse, prenait un yaourt dans le réfrigérateur, allumait le téléviseur, s’asseyait et déjeunait.

Il vivait seul et s’en montrait heureux. Il n’avait jamais désiré vivre avec une femme, et encore moins avoir des enfants. Son existence le comblait sur tous les points. Il exerçait un travail qu’il aimait. Il consacrait son temps libre à sa passion pour le Moyen Age, lisant tout ce qui paraissait sur ce thème et visitant musées, ruines et châteaux durant ses congés d’été. Il allait parfois au cinéma ou au théâtre mais, la plupart du temps, ces spectacles l’ennuyaient. Il avait le sport en horreur. Dans l’immeuble où il habitait, il était considéré comme un homme poli et aimable, quoique réservé.

Lorsqu’il déjeunait, il ne regardait jamais l’écran du téléviseur dont il baissait toujours le volume pour ne pas gêner ses voisins, mais il aimait le savoir allumé et capter comme malgré lui sa brillance et ses couleurs, alors qu’il ne pensait à rien de vraiment précis, qu’il était encore un peu dans son sommeil, et que la tasse de café lui chauffait agréablement les mains.

 

« Il éteignit le téléviseur brusquement et son corps fut parcouru d'une sorte de petite décharge électrique. »

Pourtant, ce matin-là, alors que par un geste maladroit il venait de faire tomber sa seconde tartine, et qu’il se penchait pour la ramasser, il aperçut sur l’écran des images qu’il lui fut impossible de ne pas regarder : la scène se passait en Irak, comme l’indiquait une mention en bas à gauche de l’image. Le ciel était très bleu et la lumière du soleil donnait aux façades des immeubles une blancheur crayeuse. Des hommes couraient en tous sens, en levant les bras, la bouche déformée par des cris. Certains autres, des policiers ou des militaires, semblaient plus calmes. Ils ne bougeaient pas mais jetaient autour d’eux des regards désemparés et indécis. Une femme au premier plan était agenouillée et tenait son visage entre ses mains. Il s’aperçut en l’observant plus attentivement alors qu’il reposait sa tartine brisée à côté de sa tasse que la femme n’était pas agenouillée mais que ses deux jambes étaient en fait sectionnées à la hauteur des cuisses. Du sang s’écoulait des moignons noirâtres qui paraissaient fumer comme des cigarettes. Derrière elle, d’autres femmes étaient allongées, certaines entassées pêle-mêle, la face contre terre, les pieds nus, les bras en croix. Certaines avaient le ventre ouvert. Toutes étaient mortes. Près de ces femmes il y avait aussi des petits corps, des petits corps par dizaines, dans la position de ces animaux qu’on voit écrasés le long des routes et auxquels on ne fait pas attention. Les petits corps ne bougeaient plus. Beaucoup étaient rouges. Tous ces enfants étaient morts, comme les femmes qui devaient sans doute être leurs mères, et qui étaient mortes elles aussi. Des hommes couraient toujours en tous sens. Les militaires n’avaient pas bougé. Une ambulance venait d’arriver et les brancardiers d’en sortir, deux gars corpulents qui regardaient autour d’eux, indécis, en tenant leur brancard, ne sachant par où commencer.

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