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Le livre du jour

“L’Anarchie – pour ainsi dire”, de David Graeber

Samuel Lacroix publié le 01 juillet 2021 4 min

Anthropologue anarchiste, figure de proue du mouvement Occupy Wall Street, David Graeber est mort brutalement en septembre dernier, à l’âge de 59 ans. Quelques mois plus tard, les éditions Diaphanes publient à titre posthume ces conversations que le théoricien des « bullshit jobs » (« métiers à la con ») a tenues avec le philosophe Mehdi Belhaj Kacem, l’activiste numérique Nika Dubrovsky et la vidéaste et ex-étudiante en anthropologie à la London School of Economics Assia Turquier-Zauberman. 

L’Anarchie – pour ainsi dire (Les Presses du réel, 2021) est un livre au ton libre, très enlevé, qui donne l’impression d’assister à une discussion entre amis refaisant le monde un soir d’été. Il y est question de ce que c’est que l’anarchisme, mais aussi, par ricochets, de liberté, de souveraineté, d’anthropologie… 

De quoi enthousiasmer les nombreux graeberiens en deuil et, plus largement, mieux comprendre la pensée d’un auteur influent de ces dernières années. 

 

Une tentative de définition

Aux yeux de David Graeber, l’anarchisme est avant tout « différent de la pensée marxiste », notamment dans la mesure où « il n’est pas dirigé par des penseurs héroïques ». Les factions, qui existent sans conteste chez les anarchistes, tiennent davantage à des problématiques organisationnelles que théoriques : on discute de la pertinence du syndicalisme ou du conseillisme ; de l’action directe ou de l’autogestion. On ne cherche pas à savoir si on est plutôt kropotkinien ou malatestien. 

Pour Graeber, l’anarchisme n’est « ni une attitude, ni une vision du monde, ni même un ensemble de pratiques ; mais un processus permanent de va-et-vient entre les trois ». La difficulté à s’en faire une idée précise tiendrait notamment à une forme de « cooptation » de la pratique anarchiste par l’idéologie communiste dans l’histoire de l’émancipation. Si l’anthropologue reconnaît des affinités indiscutables entre anarchisme et communisme – on rappelle qu’au fond, la différence fondamentale entre les deux est de savoir à quel moment l’État disparaît dans le processus de libération de l’individu –, il pointe (après suggestion de Mehdi Belhaj Kacem) une certaine « sanctification du travail » propre aux communistes. 

 

Gare à la contamination

Concernant cette histoire récente de l’émancipation, Graeber s’en prend davantage à l’extrême gauche universitaire américaine qu’aux communistes, fustigeant une nouvelle culture du « grondement des droits ». Sous l’influence du « puritanisme », cette culture est celle qui, insidieusement, invite tout un chacun à sans cesse « “checker” ses privilèges », à se rappeler que d’autres sont bien moins bien lotis que vous et, finalement, à « essayer de prouver qu’on se méprise plus soi-même que quiconque ». Une sorte de nivellement par le bas, donc, qui tiendrait à un triomphe de l’idée d’illégitimité en tout, chez les jeunes générations. S’adressant à Assia Turquier-Zauberman, 21 ans, Graeber signifie : « Votre génération a connu une offensive sans précédent contre toute sorte de sentiment d’avoir droit à quoi que ce soit. » Être anarchiste, c’est ne pas renoncer à ce qui est possible et c’est aussi refuser ce procès de soi-même, ne pas se laisser contaminer par l’autosurveillance et faire voir que c’est dans l’exercice des libertés que la pensée libertaire trouvera tout son potentiel.

Cette influence du puritanisme, notre auteur la voit aussi dans les autocritiques que l’anthropologie s’adresse ces dernières années, elle qui interroge excessivement son potentiel racisme en se demandant si sa « tradition occidentale » n’a pas essentiellement vocation à servir l’impérialisme. Malgré des errements évidents – Graeber évoque notamment le « Projet Camelot » (lien en anglais) du renseignement américain qui, dans les années 1960, a associé des anthropologues à la prévention de révolutions communistes en Amérique latine –, l’anthropologie est à défendre sans ménagement. « Le vrai potentiel radical de l’anthropologie […] a toujours été de nous obliger à voir dans les humains beaucoup plus que ce que nous avions été encouragés à imaginer. Je trouve donc que l’attaque [à l’encontre] de l’anthropologie est à bien des égards une politique réactionnaire déguisée en radicalisme », précise ainsi David Graeber. La dynamique anarchiste se situe d’ailleurs de ce côté depuis plusieurs années maintenant, que l’on pense à Pierre Clastres, à James C. Scott ou, donc, à Graeber lui-même. De même que Durkheim voyait dans la sociologie la science du socialisme, l’anthropologie pourrait être regardée comme la science de l’anarchisme. 

 

L’exercice des libertés

Tout cela étant dit, l’un des apports les plus fondamentaux de ce texte est sans doute les éclairages philosophiques qu’il apporte à la notion de liberté. Aux yeux de l’anthropologue, en effet, celle-ci se conçoit en termes de jeu. À l’instar du jeu (play en anglais, par opposition à games, “les jeux”), la liberté est cette activité immanente, qui est à elle-même sa propre finalité. L’entendre ainsi, c’est en même temps constater qu’elle est ce qui peut générer des règles : comme nous jouons pour le plaisir et que le pur hasard est ennuyeux, exercer sa liberté de façon immanente, c’est, pareillement, créer et recréer des règles – tout en sachant exactement lesquelles, en les comprenant bien. Comme le résume Graeber, être libre consiste ainsi « à entrer volontairement dans des relations de contrainte, et à en sortir de nouveau ». Et la liberté, c’est in fine « le jeu perpétuel du principe de jeu contre les règles qu’il a créées ». 

Aussi l’anarchisme – et cette vision de la liberté qu’il charrie – est-il à même de contribuer à construire de fécondes hybridations politiques sans se perdre dans l’échafaudage de principes moraux rigides. Cela étant entendu, on s’aperçoit qu’il est par excellence le courant politique qui a les pieds sur terre. Loin d’un délire angélique faisant une confiance aveugle à la nature humaine, il est une « anti-utopie » qui « accept[e] les gens tels qu’ils sont », faisant notamment voir que s’il y aura toujours des salauds dans la société qu’il appelle de ses vœux, au moins ceux-ci ne seront-ils plus aux commandes. 

 

L’Anarchisme – pour ainsi dire, livre de conversations de David Graeber avec Mehdi Belhaj Kacem, Nika Dubrovsky et Assia Turquier-Zauberman, vient de paraître dans la collection « Anarchies » des Éditions Diaphanes (224 p., 18 €). Il est disponible sur le site des Presses du réel, ainsi que chez votre libraire.

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