Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© Usgs/Unsplash

Autour d’une notion

La reine est morte, vivent ses abeilles

Octave Larmagnac-Matheron publié le 15 septembre 2022 3 min

L’information a suscité au moins autant de curiosité que de moqueries : l’apiculteur royal John Chapple a récemment annoncé le décès de la reine Élisabeth II… aux ruches de la famille Windsor. Quel est le sens de ce rituel ?

 

Ce genre de rituels de deuil n’est pas l’apanage de la monarchie britannique – et pas même de nos voisins d’outre-Manche. Comme l’écrit Marie-Charlotte Delmas dans son Dictionnaire de la France mystérieuse (Omnibus, 2016) :

“Considérées comme membres de la famille, les abeilles sont associées à ses réjouissances et à ses peines. Lorsque la moisson est particulièrement bonne, on place sur le rucher un drap ou un ruban rouge (Finistère, fin du XVIIIe siècle). Par ailleurs, on ne manque pas d’informer les abeilles des événements familiaux en accrochant des bouts d’étoffe de couleur vive aux ruches. On choisit souvent du ruban rouge pour les mariages (Vosges, Gironde) ainsi que pour la naissance d’un garçon (Basse-Bretagne). Parfois on leur porte un morceau du gâteau de noces. […] On s’empresse d’annoncer le décès aux abeilles. […] Quelquefois, on enterre dans le rucher l’un des vieux habits du défunt […] On pense qu’ainsi, les abeilles ne seront pas tentées de partir, persuadées que leur maître est toujours là”

Marie-Charlotte Delmas, Dictionnaire de la France mystérieuse (2016)

Pourquoi ces petits rituels nous paraissent-ils si étranges aujourd’hui, notamment vus de France ? La clé est à trouver dans la Révolution française, et la refondation politique qu’elle a proposée. Ce geste est celui d’une table rase, censée réorganiser la société sur des bases rationnelles : le citoyen, égal à tous les autres, devient une brique élémentaire la société, et c’est lui qui fait, avec tous les autres, les lois qui le gouverneront. Toutes les anciennes normes, qui ne sont fondées que sur la coutume, volent en éclat. C’est le cas des rituels, qui obligent à certains comportements et certaines pratiques.

Dans ce cadre, seul l’homme est socialement reconnu. Tout ce qui n’est pas humain (l’animal y compris) est relégué dans la sphère privée, en tant que propriété humaine. On voit bien, dans un tel schéma, l’absurdité que représente alors le rituel anglais d’annonce d’un décès, même royal, aux abeilles. La récente prise en compte de la souffrance animale ne change rien à l’affaire : s’abstenir de faire mal à un animal ne revient pas à le considérer comme un acteur du monde social et politique, auquel nous devrions par exemple annoncer les grandes nouvelles de la vie humaine.

Une telle reconnaissance sociale de l’animal est difficilement pensable dans une société où le rituel lui-même, détaché de la loi, s’est réduit comme une peau de chagrin. Or le Royaume-Uni a conservé, plus que la France républicaine, quelque chose de cette « sagesse du rituel ». La force du rituel, c’est précisément de ne pas avoir à se justifier : de ne pas avoir à justifier, par exemple, que des animaux y jouent un rôle actif, ou en soient les destinataires. Il s’enracine dans des faits, dans des pratiques qui tiennent leur valeur de leur pérennité. Indépendamment de la question de savoir si les animaux souffrent, soient conscients, puissent être tenus pour responsables de leurs actes, etc., le rituel sert essentiellement à stabiliser et perpétuer un ordre négocié au sein d’une communauté. Il est une forme de codification spontanée régulant les rapports de tous les êtres qui participent à la vie de la communauté – y compris, pourquoi pas, les animaux. Longtemps, les animaux furent considérés comme membre de la « communauté de Dieu », et à l’occasion jugés, comme le note l’historien Éric Baratay, auteur de Des Bêtes et des Dieux (Éditions du Cerf, 2015).

Il faut bien entendu se garder d’exalter aveuglément tout rituel. Car la ritualisation n’exclut en rien des formes cruelles d’exploitation ou de barbarie. Le rituel, en effet, relève de l’arbitraire. Tous les animaux, d’ailleurs, ne bénéficient pas de la reconnaissance sociale qu’il confère – par exemple les nuisibles. Les abeilles, au contraire, s’y retrouvent parce qu’elles contribuent à la communauté sans y introduire de véritable désordre. C’est pour pallier ce double écueil – celui trop arbitraire, de la ritualisation, et celui d’un républicanisme étroit aveugle à l’animal – que certains réclament la création de nouvelles formes juridiques garantissant à l’animal une existence légale propre, afin de pouvoir renouer avec lui des relations sociales, au sens fort du mot. Et si l’annonce du décès de la reine aux abeilles n’était que le début d’une reconnaissance de la vie animale ?

Expresso : les parcours interactifs
La dissertation
Une dissertation n’est ni un journal intime, ni une restitution de cours. Pour éviter le hors-sujet, il faut savoir approcher l’énoncé et formuler une bonne problématique. 
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
5 min
De la reine Victoria à Thatcher, May et Truss : est-il plus simple de devenir une femme de pouvoir au Royaume-Uni ?
Jean-Marie Pottier 19 septembre 2022

Après le décès d’Élisabeth II et l’accession au trône de Charles III (appelé depuis plus de soixante ans le « prince Charles »), on…

De la reine Victoria à Thatcher, May et Truss : est-il plus simple de devenir une femme de pouvoir au Royaume-Uni ?

Article
11 min
Anne Abeillé : “La grammaire française est un système plus souple qu’on ne le croit”
Ariane Nicolas 14 février 2022

La grammaire française fait parfois l’objet de débats passionnés. Faut-il reprendre quelqu’un qui dit « malgré que » ? Comment…

Anne Abeillé : “La grammaire française est un système plus souple qu’on ne le croit”

Article
6 min
Jérôme Sueur : “Les animaux ne sont pas des musiciens, mais nous pouvons les écouter comme de la musique”
Victorine de Oliveira 01 octobre 2022

Jusqu’au 29 janvier, l’exposition Musicanimale à la Philharmonie de Paris invite ses visiteurs à une expérience fascinante : déambuler…

Jérôme Sueur : “Les animaux ne sont pas des musiciens, mais nous pouvons les écouter comme de la musique”

Bac philo
2 min
L’histoire
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

On peut donner deux sens au mot histoire : ce que l’homme a vécu, et le récit qu’il en fait. En tant que récit, l’histoire suppose l’écriture, dont l’invention marque le passage de la préhistoire à l’histoire. Tournée vers le passé,…


Article
6 min
Le regain des religions traditionnelles
Michel Eltchaninoff 20 septembre 2012

Dans les décennies à venir, les religions constituées pourraient opérer leur grand retour sous des formes renouvelées. Le paradoxe est qu’elles doivent leur succès à ce qui peut paraître le plus archaïque : rituels, dogmes, récits,…


Article
3 min
Elizabeth II : régner sans gouverner
Octave Larmagnac-Matheron 21 septembre 2022

Discrète, secrète, mystérieuse, telles étaient les qualités de la défunte reine. Ce comportement a été détaillé par l’essayiste du XIXe …

Elizabeth II : régner sans gouverner

Bac philo
2 min
Le langage
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

Qu’est-ce que le langage ? Objet de la linguistique, le langage peut d’abord être étudié comme un système de signes qui associe des mots (puisés dans un lexique) selon des règles grammaticales précises (établies par une syntaxe). On s…


Bac philo
3 min
La nature
Nicolas Tenaillon 18 mai 2022

Opposée à la culture, la nature (mot issu du latin nascor : naître) est une notion fortement équivoque qui décrit à la fois un processus et un résultat, l’essence des choses et le monde qui les entoure (appelé alors : Nature,…


À Lire aussi
Buzz, beaucoup de bruit pour rien ?
août 2012
Pourquoi vacciner le monde sauvage ?
Pourquoi vacciner le monde sauvage ?
Par Octave Larmagnac-Matheron
février 2023
Fragiles insectes, terrifiants “aliens”
Fragiles insectes, terrifiants “aliens”
Par Isabelle Sorente
avril 2023
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. La reine est morte, vivent ses abeilles
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse