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© Julien Daniel pour PM

Reportage

À la recherche de la ruralité perdue

Antoine Compagnon publié le 21 mars 2013 13 min

Le Salon de l’agriculture n’offre pas seulement aux familles citadines la possibilité de découvrir les vaches, cochons et volailles de nos campagnes. Pour Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, spécialiste des « antimodernes » et de Proust, qui s’est mêlé aux 693 000 visiteurs, c’est l’occasion de nourrir une réflexion sur le lien très singulier qui unit la culture française au monde rural. Visite guidée.

 

Ce n’est pas le Salon de Diderot ou de Baudelaire. Tôt ce matin, j’ai pris le métro, vide encore, pour la porte de Versailles. Dès la station Madeleine, deux couples s’assoient près de moi, ni Parisiens ni étrangers, mais désorientés, silencieux, gardant leur ticket à la main pour le contrôleur, et les deux femmes leur sac sur les genoux. À Concorde, d’autres passagers dépaysés montent dans le wagon et, à Montparnasse, il faut plier les strapontins. Je fais de la place à trois hommes trapus, les mains vigoureuses et le visage couperosé, qui se mettent à compter les stations, sept, six jusqu’au Parc des expositions. J’affectionne ce moment de l’année où Paris, comme par un coup de baguette magique, prend des allures de sous-préfecture le jour du marché aux bestiaux.

Ma dernière visite au Salon de l’agriculture remonte à trois ou quatre ans, mais si je vais porte de Versailles en février plus souvent qu’à mon tour, c’est, entre autres raisons, pour savourer le contraste avec le Salon du livre, lequel se tient au même endroit un mois plus tard. Les bêtes ont vidé les lieux, que les livres occupent sans exhaler d’odeurs ni laisser de traces (ce matin, au premier jour, les moquettes vert gazon du pavillon des bovins sont déjà maculées de bouses). Il me semble que cela nous dit quelque chose de ce vieux pays de culture, à la fois au sens propre, culture de la terre, et cultura animi, celle de l’esprit, de l’homme ou de la femme cultivée. « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », disait Sully. Il avait omis les lettres. Quand je reviens fin mars à la porte de Versailles, j’ai l’impression de célébrer alternativement les deux mamelles de ce pays, la littérature après l’agriculture, les travaux des lettres après les travaux des champs.

 

La charrue avant les lettres

L’une et l’autre – l’agriculture et la littérature –, à ce qu’on dit, ne se portent pas bien et ne font pas vivre leur homme ou leur femme. Ce sont d’ailleurs des écrivains du terroir, écrivains qui travaillent la langue comme on travaille la terre, qui la besognent, la retournent, la fatiguent et la creusent, ou la remâchent et la ruminent, ou du moins certains d’entre eux, qui se lamentent le plus de la décadence du pays, en tous les sens du mot : nation, province, canton, mais aussi paysage et paysannerie, ou natif du même bout de terre. Mais je ne verserai pas dans ce pessimisme à la mode, dans la nostalgie d’une vie littéraire et paysanne radieuse, car toutes deux ont toujours exigé un dur labeur, et je ne suis pas de ces écrivains laboureurs, comme il y avait naguère un Soldat laboureur à Mouton-Duvernet.

Tout de même, les chiffres parlent : près de 700 000 visiteurs au Salon de l’agriculture contre moins de 200 000 au Salon du livre, qui se tient, il est vrai, durant moitié moins de jours. À côté du Salon de l’agriculture, le Salon du livre fait pâle figure : il a juste trente ans et l’on y avale médiocrement quelque plat réchauffé, alors qu’on retrouve à l’autre la voracité des comices agricoles, la hâblerie des concours et des marchés. Et les statistiques ne nous disent pas qui, à part quelques piqués, se rend rituellement aux deux, aime retrouver les lauréats des prix littéraires de l’automne signer en levant le petit doigt leurs autofictions juste là où les Salers, l’air de rien, paradaient un mois plus tôt sous leur somptueuse robe acajou et les applaudissements de la cohue.

«Écrivains qui travaillent la langue comme on travaille la terre, qui la fatiguent, la retournent et la creusent»

Antoine Compagnon

Or, première surprise : pour ce 50e Salon international de l’agriculture – le Concours général agricole, bien plus ancien, remonte à la monarchie de Juillet, et la Semaine de l’agriculture à la Troisième République –, les bovins, ovins, caprins et porcins ont déserté l’immense Pavillon 1, cathédrale qu’ils partageaient depuis longtemps avec les livres, et se sont dispersés dans des pavillons moins majestueux et plus excentrés. Je suis déconcerté, pour ne pas dire déçu, et je ne suis pas le seul. « Tout est mélangé. C’était pas comme ça avant », s’écrie-t-on autour de moi. On nous présente le déménagement comme une innovation, mais, comme tout amateur du Salon, je tiens aux traditions. Il va falloir se faire à ces nouveaux lieux. Or les vaches, veaux et cochons semblent à l’étroit dans leur nouveau logis, et les bovins sont mêmes écartelés entre deux pavillons.

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Article issu du magazine n°68 mars 2013 Lire en ligne
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