La pensée des enfants

Martin Legros publié le 7 min

Un matin, alors que j’avais travaillé toute la nuit à écrire un texte, mon fils de 3 ans, qui venait de se réveiller et qui débarquait dans le salon, me demanda : « Mais, papa, si tu es resté éveillé toute la nuit, qu’est-ce que tu as fait de tes rêves quand ils sont venus ? » Pour lui, le rêve n’était pas un phénomène intérieur, une production de l’esprit, mais une réalité matérielle qui nous rendait visite chaque nuit et à laquelle il fallait faire une place pour qu’elle nous laisse tranquille. Puisque cette nuit-là je m’étais consacré à autre chose, le rêve était peut-être toujours là, tapi dans un coin de la pièce… Depuis j’ai appris, en lisant Jean Piaget ou Henri Wallon, les fondateurs de la psychologie enfantine, que cette vision matérielle de la vie de l’esprit était partagée par tous les enfants. Pour eux, de même que le rêve est « dans la chambre », la pensée est au-dehors. Elle n’est pas cette voix intérieure et silencieuse qu’elle est pour nous, elle est « dans la bouche » ou « dans les oreilles », elle se confond avec les mots qu’on prononce ou qu’on écoute. Comme le rêve vient à nous, les mots sont déposés dans la bouche sous la pression des choses. C’est d’ailleurs parce qu’elle est une chose parmi les choses que la pensée peut agir sur le monde qui l’entoure… Magie ? Élucubration ? Elles avaient pourtant permis à mon fils de voir juste : à force de laisser le travail dévorer mes nuits, je risquais de ne plus laisser de place en moi aux rêves qui venaient me visiter…

Nous avons tous été désarçonnés par une parole de ce genre, bizarre mais profonde, sur la vie, la mort, l’âme, le corps, la nature ou Dieu. Et nous nous sommes tous interrogés sur la signification que l’enfant leur donne. Comment s’imagine-t-il les choses ? Que se passe-t-il dans sa tête quand il les utilise ? Question d’autant plus pressante que, si nous cherchons en nous-mêmes, ce monde a fait naufrage : l’oubli ou la confusion règnent sur les premiers âges de la vie, et nous ne parvenons que difficilement à reconstituer ce qu’a été notre enfance.

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