Crises existentielles

La nausée selon Sartre

Vincent de Coorebyter publié le 3 min

Sartre décrit, dans La Nausée, une expérience romancée, mais potentiellement universelle. Il parvient même à sonder de manière si profonde cette expérience qu’on a longtemps cru que ce livre était la transposition romanesque d’un épisode dépressif vécu. L’ironie de l’histoire est que Sartre est tombé en dépression après la rédaction de La Nausée, du fait notament du refus initial de Gaston Gallimard de publier ce texte qui devait initialement s’intituler Melancholia...

La nausée est pour Sartre la sensation qui nous envahit lorsque notre existence se saisit dans sa plus stricte nudité, dans sa radicale contingence : dépourvue de tout voile de nécessité, de toute illusion sur son sens, de toute projection dans le futur, de toute nostalgie pour le passé, de toute insertion dans un projet, une croyance, une entreprise, un espoir..., qui structurent le temps
et le rendent vivable, humain. La clé de la nausée, c’est le fait que la vie se déroule secrètement, « à la grosse » , mollement, que notre existence est un perpétuel présent sans cause et sans but, qui nous paraîtrait fade et écœurant si nous ne nous laissions pas embarquer dans une foule de vagues passions qui nous dissimulent notre absurdité. Pour Sartre, qui a découvert la contingence en sortant d’un cinéma et en voyant combien, dans la rue, lui-même, les autres et les événements existaient moins fort que dans le temps resserré du film, c’est l’art qui lui cachait la vérité. Il n’est pas nécessaire de cesser de croire en Dieu pour ressentir la nausée : pour vivre cette crise, il suffit d’avoir perdu des illusions strictement humaines, immanentes et collectives. C’est la raison pour laquelle le héros de La Nausée, Roquentin, est une sorte de Robinson : il ne travaille pas, il ne vote pas, il loge à l’hôtel, il couche de loin en loin par habitude, il a un vague ami qui l’insupporte, n’a pas d’enfants, pas d’engagements et voit s’anéantir les rares ancrages qui lui dissimulaient la vérité. Il a entamé une biographie d’un nobliau, marquis de Rollebon, aristocrate mi-diplomate mi-espion de la fin du XVIIIe siècle, avant de voir ses recherches s’ensabler en raison des ambiguïtés et des contradictions du personnage qui se multipliaient au fil de ses recherches, comme s’il était impossible de cerner rétrospectivement le sens d’une existence, comme si l’existence n’avait par principe pas de sens. Roquentin est rongé par le même sentiment de vide.

Expresso : les parcours interactifs
Joie d’aimer, joie de vivre
À quoi bon l'amour, quand la bonne santé, la réussite professionnelle, et les plaisirs solitaires suffiraient à nous offrir une vie somme toute pas trop nulle ? Depuis le temps que nous foulons cette Terre, ne devrions nous pas mettre nos tendres inclinations au placard ?
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
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