La guerre de l’eau est déclarée

Que d'eau, que d'eau ! Prise entre la tempête Mathis, les manifestations contre les mégabassines à Sainte-Soline et un dégât des eaux à son domicile, Ariane Nicolas ne jette pas l'éponge ! Dans son billet du jour, elle tente de comprendre pourquoi l'élément liquide nous résiste tout en nous glissant entre les doigts.

« Une tempête printanière, un somptueux dégât des eaux, une mégabassine en surchauffe, un agriculteur en pleurs… Si je devais trouver un titre à la semaine passée, je l’appellerais : “La révolte de l’eau.” J’ai parfois eu le sentiment que cet élément essayait de me parler, via différents canaux. Et si je tendais l’oreille ?

Tout commence vendredi dernier avec un trajet en voiture apocalyptique. En route vers la Charente, où je rejoins ma petite ferme pour quelques jours, je fonce sans le savoir en plein dans la tempête Mathis. Pluie en purée de pois, mini-tornades dans la Beauce, arbres couchés sur l’A10, bitume aveuglant… je roule à 60 km/h, les feux de brouillard à vif. Des giboulées de printemps ? Plutôt La Route, de Cormac McCarthy. À quelques kilomètres de l’arrivée, une fois Mathis assagi, ma voiture longe les champs de Sainte-Soline : le slogan “No Basaran” s’affiche en grand sur les ponts autoroutiers, en référence aux luttes anti-mégabassines ayant fait des blessés graves, quelques jours auparavant. Ambiance. Je bois enfin un coup, tout sauf de l’eau bien entendu, déballe mes valises… pour me réveiller le lendemain dans 10 centimètres de flotte : un tuyau a lâché, la charpente est trempée. Une galère ! Faute de plombier disponible rapidement – le revers de la médaille champêtre –, j’éponge sans relâche, dors à la bougie, me lave avec les réserves hydrauliques destinées aux plantes. Un bidon de 8 litres d’eau de source acheté au supermarché finit de sauver la mise.

Rétrospectivement, ce petit naufrage charentais me fait bien rire. Mais depuis ce “moment aquatique”, j’ai l’impression de voir de l’eau partout, presque de penser au travers de cette substance. Quand je suis invitée à fêter Pessa’h (la Pâque) chez des amis juifs : “C’est bien la mer Rouge, que le peuple conduit par Moïse a traversée ?” Lorsque je vois un agriculteur de Sainte-Soline en pleurs à la télévision : “Oh ! son corps fuit par les yeux.” Ou devant un film d’action idiot : “Gâcher toute cette eau pour torturer un pirate…” Élément premier qui, par sa fluidité, son abondance et sa transparence, a le caractère de l’évidence, l’eau m’apparaît soudain comme mystérieuse et toute-puissante. Elle résiste. Contre qui ? Moi, nous, la Terre entière. La symbolique est forte. Pourtant, il ne s’agit pas seulement d’une vue de l’esprit. La demande mondiale en eau ne cesse d’augmenter, alors même que le dérèglement climatique rend sa disponibilité de plus en plus périlleuse. “L’exécutif veut faire des Deux-Sèvres le laboratoire de la guerre de l’eau”, affirme la députée écologiste Delphine Batho à L’Humanité. Dans le Poitou, la bataille a commencé.

“Il y a, sous les images superficielles de l’eau, une série d’images plus profondes et tenaces”, écrit Gaston Bachelard dans L’Eau et les Rêves. Images qui dénotent une “intimité” particulière entre les êtres humains et cette matière première, renvoyant à la vitalité, à la mélancolie, à la pureté ou à la mort – les passages sur l’“eau lourde” chez Edgar Allan Poe sont splendides. Selon Bachelard, l’eau présente aussi un “coefficient d’adversité” qui nous met à l’épreuve depuis la nuit des temps. “Il est des eaux qui ont l’épiderme sensible”, souffle-t-il, évoquant des légendes où fontaines et lacs d’apparence paisible déclenchent soudain des ouragans. Par métonymie, cette “susceptibilité” de l’eau peut être comprise comme celle des humains qui en ont la charge, pour son assainissement ou son transport. Il y a sans doute, dans la brutalité des affrontements récents à Sainte-Soline, quelque chose qui fait signe vers cette inacceptable résurgence d’un besoin primaire : la susceptibilité d’une société qui pensait être “au-dessus de l’eau”, cet enjeu vital, primitif, que l’on croyait définitivement maîtrisé et qui s’infiltre à nouveau dans nos vies. Paul Éluard, cité par Bachelard, chante : “L’eau, telle une peau que nul ne peut blesser.” Les humains sont parfois contraints de se battre pour elle. Puisse le tourbillon de violence généré par les mégabassines, d’une manière ou d’une autre, bientôt s’assécher. »

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