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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Milan (Italie), le 25 février 2024. Défilé de la marque Giorgio Armani, collection automne-hiver 2024. © Shutterstock/Sipa

La démarche signature

Octave Larmagnac-Matheron publié le 27 février 2024 4 min

« J’ai eu bien du mal, hier soir, à trouver le sommeil. Malgré moi, d’abord, mais je suis rapidement devenu complice de mon petit malheur – au moment où ma main s’est emparée de mon téléphone. Happé dans la spirale du doomscrolling, ma dérive numérique – errance sans but entre les vidéos les plus hétéroclites – s’est cependant rapidement fixée sur un motif particulier, qui suscite en moi une certaine fascination : les défilés de mode.

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Si les vidéos de défilés captivent mon regard, c’est moins pour les vêtements que pour la démarche des mannequins qui les portent. De certaines d’entre elles, en tous cas, qui ne sont pas si nombreuses – je me permets de parler au féminin car, en matière de démarche, je ne trouve pas chez les hommes cette inventivité gestuelle qui m’arrête chez leurs consœurs. J’observe les mouvements réguliers de bras de Naomi Campbell. J’admire la prestance légère de Yasmeen Ghauri. Je goûte moins la démarche un peu martiale de Gisele Bündchen, initiatrice du horsewalk (“démarche de cheval”), mais je reconnais la performance. Je scrute, avec une certaine inquiétude, le déhanché littéralement “exorbitant” (le mot est de Balzac) de Shalom Harlow, où le corps entier semble en passe de se désarticuler.

Il n’en est rien, pourtant. La mannequin prend la pose au bout du runway et continue son chemin. Je suis partagé entre deux sentiments. D’une part, la certitude qu’elle devrait tomber. “Marcher, c’est compenser un déséquilibre”, dit un jour un professeur de prépa. La phrase m’est restée dans la tête. Apprendre à marcher, c’est apprendre à ne pas chuter tout en demeurant dans les rets de la chute promise à celui qui relâche ses efforts. Plutôt que de sécuriser cette verticalité dynamique, la gestuelle exubérante de Harlow, juchée sur ses talons hauts, paraît y ajouter davantage de risque. Son centre de gravité oscille. Et malgré tout, un autre sentiment s’éveille en moi : la certitude qu’elle ne tombera pas – que les fantaisies instables de son marcher sont comme le reflet d’une assurance première, irrémissible. La mannequin n’entretient pas, avec le sol et sa pesanteur dangereuse, ce rapport anxieux qui nous saisit parfois. Elle ne fait qu’un avec lui – la réversibilité du catwalk, qui désigne à la fois la démarche et la piste de défilé, prend tout son sens. Quelque chose dans son mouvement n’est pas naturel, mais cette artificialité semble bien permise en amont par un rapport beaucoup plus naturel à cet art de marcher qui, pour nous autres, demeure un tâtonnement incertain. Il faut que la marche acquière l’assise d’une “seconde nature” pour qu’elle devienne le terrain de jeu de l’expression de soi.

C’est bien aussi ce qui frappe dans l’allure des mannequins : au fil des vidéos, sans regarder leur visage, j’apprends à les reconnaître à leur démarche. Le même professeur de classe préparatoire avait, un autre jour, cité Balzac en ces termes : “On reconnaît quelqu’un à son marcher.” Il y du vrai dans cette phrase, quoique je n’en aie pas retrouvé la source. La démarche est une signature : un style qui nimbe de son aura le déplacement utilitaire. Comme le dit le philosophe Benoît Goetz, “la démarche serait ce qui, dans la marche, ne mène à rien […] ; ce qui dans la marche ne marche pas”, mais la frappe de sa marque indélébile. Cette signature s’impose en partie à nous, inscrite anonymement dans la chair par la culture et les modes de vie qui nous constituent. “La marche, la nage, […] toutes sortes de choses de ce type sont spécifiques à des sociétés déterminées”, note Marcel Mauss dans Les Techniques du corps (1934). Mais cette signature peut aussi être construite activement. Elle se travaille, se cultive.

Cette année de prépa que j’évoque, j’ai justement entrepris de faire quelque chose de ma démarche. Moins par souci de singularité qu’en réaction, sans doute. J’avais été fort affecté par un camarade qui avait raillé ma posture “en canard”. J’ai appris à refaçonner ma gestuelle pédestre : à marcher droit, un pied devant l’autre, en dépit du frottement pénible de mes genoux – conséquence inévitable de mes mollets arqués. Appris, aussi, à ne pas faire le bruit d’un éléphant en montant les escaliers pour ne pas sembler accablé par l’effort, et à marteler le sol plat d’un pas plein d’assurance. Je suivais les conseils prodigués par Balzac dans sa Théorie de la démarche (1833) : “Tout en nous participe du mouvement, mais il ne doit prédominer nulle part. […] Tout le secret des belles démarches est dans la décomposition du mouvement.” Le mouvement s’exprime partout – dans le balancement léger des bras, dans la position des pieds, dans la flexion de la main – mais partout différemment. Partout hormis le faîte du corps, la tête, qui dirige souverainement ce grand ballet charnel. “Quand le corps est en mouvement, le visage doit être immobile.” J’ajoutais, à ces quelques préconisations, d’autres tirées de ma situation, comme celle du déhanché qui me paraissait un prérequis incontournable pour devenir le bon homosexuel que je souhaitais être.

Le tout formait un ensemble étrange et maladroit qui a depuis décanté. Mais je marche toujours d’une manière singulière. J’ai souvent droit à quelques commentaires sur ma démarche rigolote, chaloupée et rigide – peu naturelle. Je continue pourtant de l’aimer. Elle est le témoignage vivant de mon histoire à moi. »

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