Jean-Pierre Vernant. Le maître libérateur
« Mon frère et mes cousins », « ma bande de copains », « les camarades », « ma fratrie », « ce petit groupe », « notre confrérie », ces expressions chaleureuses, Jean-Pierre Vernant n’a jamais cessé de les employer. Désignant les fréquentations qui ont jalonné son existence, ces tournures familières résonnent encore, quelques mois après sa mort, dans la douceur du timbre de sa voix, juste, simple, accueillante. Elles pointent l’essentiel : la naissance d’une communauté, la mise au jour d’une famille d’égaux. Son « je » est indissociable d’un « nous ». Métamorphosé par cette philia, cette amitié, le nom de Jean-Pierre Vernant se transfigurait en un simple « Jipé ». Bien plus que des initiales. Un surnom, fraternel. Une figure, élective. Une présence, disponible, attentive, qui n’a jamais séparé la pensée de la vie, la science de l’engagement, la réflexion de l’action, l’identité de la différence.
Méfiant envers le tour autobiographique que pourrait prendre une plume rétrospective, surplombante, préférant ainsi à la linéarité de la vie la notion plus sinueuse et oblique de « parcours », « bric-à-brac fait de pièces et de morceaux », Jean-Pierre Vernant écrit en 1996 : « Je vois aujourd’hui qu’au lieu d’un itinéraire unique, dont on pourrait reconstruire après coup la ligne, il y a eu des voies multiples où je me suis trouvé poussé autant que je les ai choisies, des pérégrinations, des détours. On avance avec le temps, mieux vaudrait dire : on est déplacé, non d’un bloc mais par morceaux pour se retrouver au terme là où on ne croyait pas devoir aller, ailleurs dans son chez-soi, autre dans sa façon de demeurer le même. » Cette métamorphose du même par l’autre, ce goût pour la perméabilité des frontières, des échanges, des glissements (entre les êtres, les disciplines), le caractérisent autant que sa totale indépendance d’esprit, sa lucidité critique, celle-là même qui opère des tris, traque la confusion, construit des limites indépassables entre le oui et le non, le refus et l’acceptation. L’homme ne s’en laissera jamais conter. Il n’acceptera pas l’armistice de 1940 demandée par Pétain et l’occupation allemande. Il n’acceptera jamais que la politique partisane, celle des partis, intervienne dans les champs de la recherche scientifique ou de la création artistique. La souplesse et l’étendue de son intelligence se conjuguent avec une seule et même force qui n’a démérité à aucun moment, un corps athlétique, marcheur, qui n’a jamais courbé l’échine : « Le vrai courage, c’est, au-dedans de soi, de ne pas céder, ne pas plier, ne pas renoncer. Être le grain de sable que les plus lourds engins, écrasant tout sur leur passage, ne réussissent pas à briser. »
Lorsqu’il rejette toute forme de dogme, de catéchisme, d’oppression, Jean-Pierre Vernant, né le 4 janvier 1914 à Provins, en Seine-et-Marne, hérite sans conteste de son milieu d’origine, une famille d’intellectuels de gauche, libres-penseurs nourris des Lumières. Dès l’âge de 15 ans, le jeune homme se plonge dans la lecture de Marx. Son grand-père, dreyfusard de la première heure, fonde au début des années 1880 Le Briard, un journal républicain et anticlérical. Son père, Jean, engagé volontaire comme 2e classe dans l’infanterie alors qu’il avait repris le journal, est tué à la guerre en 1915. Jipé ne l’a jamais connu : « Je dis volontiers, en riant, que je ne sais pas trop ce qu’est le complexe d’Œdipe, parce que je n’ai pas eu de père. En réalité, j’avais un père imaginaire qui a joué son rôle… » Dans cet imaginaire, la monstruosité que fut la Grande Guerre et l’exigence de paix qui s’en suivit occupent une place matricielle. L’orphelin, pupille de la nation, qui perd sa mère à l’âge de 9 ans, garde pourtant un souvenir heureux de son enfance, nimbée de la présence de son frère, Jacques, de ses cousins, France et Jean, les deux enfants de sa tante paternelle, qui l’a élevé, avec son frère. Il vit ses jeunes années à Paris dans une atmosphère de chahuts fraternels et joyeux. Jipé dira plus tard que, dans la faille de son Œdipe, se logea peut-être un « complexe de la fratrie ».
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