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Les Damnés mis en scène par Ivo Van Hove dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, à l’occasion de la 70e édition du Festival d’Avignon © Christophe Raynaud de Lage

Culture / Théâtre

Ivo Van Hove, l’attraction des affres

Cédric Enjalbert publié le 24 juillet 2016 4 min

En adaptant Les Damnés, d’après le scénario de Luchino Visconti, le metteur en scène Ivo Van Hove déterre les racines du mal. Il éclaire nos passions et nos peurs et met en garde contre les dérives politiques et idéologiques qu’elles produisent. Succès éclatant du Festival d’Avignon 2016, porté par une troupe remarquable, le spectacle est repris dès la rentrée à la Comédie-Française (Paris).

 

D’où procèdent le mal et la fascination qu’il produit ? Habité par cette question métaphysique, le metteur en scène Ivo Van Hove s’empare des Damnés, d’après le scénario de Luchino Visconti, qu’il monte à la façon d’une tragédie classique. 

Ivo Van Hove ne fait pas de ces damnés les fonctionnaires aveugles d’une machine infernale, incarnant la « banalité du mal ». Il adapte plutôt le scénario en shakespearien habitué des drames historiques, auscultant ce moment très précis du choix éthique, qui mène une famille d’industriels à mettre un pied dans l’abîme, puis à composer avec la compromission idéologique, avant de nourrir une tragédie humaine. Il expose comment l’instrumentalisation de l’idéologie produit une lente dérive de ce choix, qui se résout finalement à une alternative à la Carl Schmitt (1888-1985) : amis/ennemis. Le philosophe allemand, théoricien du droit proche du national-socialisme, définit dans La Notion du politique (1932) l’inimitié comme condition de la politique : « La distinction spécifique du politique, à laquelle peuvent se ramener les actes et les mobiles politiques, c’est la discrimination de l’ami et de l’ennemi. »

La dynastie von Essenbeck progresse par calcul, par lutte et par intérêt, sinon par conviction. Les membres de cette famille agissent en conscience, depuis le patriarche, le Baron Joachim (Didier Sandre), qui d’un geste inaugural démet de son directeur Herberth Thallman (Loïc Corbery), opposé au régime, et choisit, par opportunisme, de se rapprocher des nazis afin d’assurer la prospérité de son entreprise, après l'incendie du Reichstag en 1933. Dans la nuit, il est assassiné par Friedrich Bruckmann (Guillaume Gallienne), épaulé par son amante (Elsa Lepoivre). Tous deux fomente des plans dignes des Macbeth pour s’emparer du pouvoir. Les morts se succèdent et se ressemblent, selon un procédé habituel chez Ivo Van Hove qui, par la chorégraphie répétée d’un geste, en fait un motif rythmant la tragédie. Sur scène, des cercueils sont alignés. Les Essenbeck y entreront en fanfare, comme intronisés aux limbes. Cette traversée du Styx dans la douleur se poursuit même après la mort : les cadavres filmés en bière, expirent à nouveau comme asphyxiés. Par cet effet vidéo, la pièce rejoint alors une dimension symbolique et mythique : une famille entière maudite à la façon des Atrides.


Fascination érotique

De cette descente aux Enfers, en forme de « célébration du mal », filmée au plus près, le metteur en scène flamand fait une fête macabre, s’affranchissant du contexte historique pour ne conserver de cette tragédie que la trame, dont il expurge les fioritures et les dorures cinématographiques. Ni croix gammées ni salons feutrés : seulement une auscultation du cœur battant du mal. Il démonte une mécanique aussi fascinante qu’obscène, porté par une adaptation passée au filtre de la mémoire – le metteur en scène n’a pas souhaité revoir le film de Visconti. Par delà de rares images d’archives, Ivo Van Hove s’attache plutôt à la restitution d’une atmosphère.

La puissance de ces Damnés tient à cet affranchissement vis-à-vis du maître et de l’histoire, autant qu’à la remarquable interprétation des acteurs de la Comédie-Française, dirigés à rebours du classicisme auquel on les imagine habitués, libérés eux aussi des usages de l’institution. Pour le meilleur dans le pire, car tous sont beaux dans l’effroi : Denis Podalydès, fascinant dans sa danse macabre, Guillaume Gallienne, en néo-Macbeth et surtout Christophe Montenez redoutablement séduisant dans les affres. Le déroulement de la pièce tient à sa progression extraordinaire, à la cristallisation du mal autour de cet électron libre androgyne et travesti, fils d’une mère meurtrière, devenu fer de lance des atrocités. À lui seul, s’épaississant à mesure que le contexte se dégrade, il suscite et concentre le sentiment par ailleurs diffus que produit l’inconfortable fascination érotique pour l’horreur. Ivo Van Hove n’orchestre pas pour autant un spectacle voyeur. Il ménage plutôt une projection inversée de nos tréfonds obscurs où se mêlent les désirs et les peurs, mettant en garde contre leur instrumentalisation par toutes les formes d’idéologie. À travers ces images chacun est libre de projeter ses révulsions et d’affronter ses tentations.

Informations
Les Damnés, d’après le scénario de Luchino Visconti, Nicolas Badalucco et Enrico Medioli
Mise en scène : Ivo Van Hove
Avec la troupe de la Comédie-Française : Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Denis Podalydès, Alexandre Pavloff, Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Clément Hervieu-Léger, Jennifer Decker, Didier Sandre, Christophe Montenez et Sébastien Baulain
Scénographie et lumières : Jan Versweyveld
Costumes : An D’Huys
Vidéos : Tal Yarden
Musique originale et concept sonore : Éric Sleichim
Dramaturgie : Bart Van Den Eynde
Création le 6 juillet 2016 au Festival d’Avignon.
Reprise à la Comédie-Française du 24 septembre 2016 au 13 janvier 2017

 

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