Israël-Palestine : histoire de la guerre des souterrains

La guerre lancée par Israël contre le Hamas après les attentats du 7 octobre ne se déroule pas seulement en surface : elle a également lieu sous terre, parmi les innombrables galeries creusées sous la bande de Gaza. Petite philosophie de la guerre souterraine.

Souterrains offensifs, souterrains défensifs

L’usage des souterrains en contexte de guerre n’est pas une nouveauté. Dès 1812, le capitaine Coutèle publiait un Mémoire sur la guerre souterraine. Il y décrivait « l’art de transformer le combat à ciel ouvert en combat souterrain » à la fois « pour l’attaque et pour la défense des fortifications ». Côté attaque, l’officier cite les exemples de mines creusées pour saper les fortifications adverses ou en faire exploser les fondations. Côté défense, le souterrain est utilisé pour ralentir l’avance ennemie. La « défense souterraine » a « pour objet de masquer, d’inquiéter et de renverser les batteries ennemies, de retarder la marche de l’assiégeant, de l’obliger à faire devancer ses tranchées et ses batteries par de longs et pénibles travaux souterrains, de l’attirer dans un nouveau champ de bataille où il perd la protection de ses foudres d’airain, où dans des routes étroites il est obligé de marcher en petit nombre à tâtons contre un adversaire qui a tout disposé et prévu ». D’un côté comme de l’autre, Coutèle souligne le grand intérêt de cette tactique inhabituelle, qui trouble les repères ordinaires du conflit armé et qui désarçonne la logique du face-à-face : l’usage des souterrains « jette la terreur dans les rangs ennemis, il impose un frein à la bravoure même, puisque l’homme craint plus un danger qu’il ne peut apprécier, qu’un bien plus grand qu’il connaît ». Avec le souterrain, l’ennemi n’est plus là devant, de l’autre côté de la ligne du front. Il est, peut-être, sous nos pieds – et semble pouvoir surgir de n’importe où sans pouvoir être repéré à l’avance.

Les souterrains-refuges

Passionnés des mondes souterrains, les scientifiques Jérôme et Laurent Triolet leur ont consacré un ouvrage – La Guerre souterraine (Perrin, 2011) – pour explorer ce qu’ils nomment les « souterrains-refuges ». S’ils apparaissent en période de conflit, leur objectif n’est pas directement militaire. Véritable « forteresse souterraine rurale de proximité », le souterrain-refuge vise essentiellement à abriter les populations civiles locales, à les dissimuler lors des « périodes troubles ». Il est « conç[u] pour abriter temporairement les habitants d’une ferme, d’un hameau, d’une maison forte ou d’un petit château, ainsi que leurs moyens de subsistance. Il devait permettre à ces hommes de survivre en fournissant, le cas échéant, une défense suffisamment efficace pour créer des difficultés et occasionner des pertes propres à décourager un ennemi de passage. »

Ces structures se retrouvent en grand nombre en France – point de départ des recherches de Jérôme et Laurent Triolet. Mais on trouve des installations troglodytes de ce type aux quatre coins du monde, à toutes les époques. C’est notamment le cas dans la Cappadoce byzantine (actuelle Turquie) dès le VIII^e siècle : « Là-bas, au cœur du plateau anatolien, nous découvrîmes des réseaux qui ressemblaient étonnamment aux souterrains-refuges français, mais ils concernaient des communautés beaucoup plus importantes, s’étendaient sur de bien plus grandes superficies et se distinguaient par un aménagement défensif spécifique particulièrement efficace, la porte de pierre. » À des siècles d’écart, le refuge souterrain sera également très utilisé lors de la guerre du Vietnam : « Nous visitâmes les fameux tunnels de Cu Chi, puis d’autres tunnels de guerre creusés au bord de la mer de Chine méridionale […]. Plus au nord, nous attendait une découverte encore plus instructive, un souterrain-refuge ressemblant étonnamment aux ouvrages français ou aux réseaux cappadociens, mais creusé durant la seconde moitié du XX^e siècle… et dont les occupants étaient encore là pour témoigner ! La logique du souterrain-refuge traversait bien les siècles jusqu’à des périodes très proches. »