III. La voie de l’affirmation

Martin Duru publié le 5 min

Ni ennemi à juguler ni interdit à dépasser… Et si le désir était l’autre nom de notre être ? Dans le sillage de Spinoza se déploie alors un appel à se laisser traverser par ce qui nous dépasse.

« Deviens ce que tu es » : la célèbre maxime a beau commencer à sérieusement dater – on la doit au poète lyrique Pindare (518-438 av. J.-C.) –, elle nous interpelle encore, peut-être plus que jamais. Car si elle n’est pas réduite à un simple slogan marketing, l’injonction lance le plus singulier, le plus périlleux des défis : se transformer soi-même. Plus facile à dire qu’à faire… Et pourtant, la solution tient peut-être dans une attitude résolue, frondeuse, qui se ramène à un seul impératif catégorique : libère, affirme ton désir ! Et si l’on cessait de voir en lui une force menaçante, voire condamnable ? Et si le désir était à la fois le levier de la métamorphose personnelle – ce qui nous permet de devenir, de vivre autrement – et l’expression de notre vérité la plus intime – ce qui révèle ce que nous sommes ?

Faire du Désir une puissance majuscule, positive et autonome, et non plus scruter la multiplicité des désirs afin de les maîtriser, les neutraliser : c’est là un changement complet de perspective auquel nous invite un penseur très rationnel, Spinoza. Pour lui, tout ce qui vit dans la nature fait l’effort de « persévérer dans son être » – ce que l’on appelle le conatus. L’homme ne fait pas exception à la règle : lui aussi cherche à se conserver, à développer sa « force d’exister ». Dans la mesure où il est conscient de son appétit de vivre, le « Désir est l’essence de l’homme ». Il apparaît comme le fond et le moteur de notre être. Mais Spinoza n’en reste pas à cette conception déjà révolutionnaire. Dans le scolie de la proposition 9 de l’Éthique, il opère un renversement radical : nous « ne désirons aucune chose, parce que nous la jugeons bonne », mais nous l’estimons telle parce que « nous la désirons ». Pour se faire une idée : je ne me sens pas attiré par une fille parce que son physique est objectivement avantageux ; c’est mon attirance pour elle qui la rend particulièrement belle à mes yeux. En d’autres termes, le Désir est absolu, premier, normatif ; il n’est pas dérivé ou relatif à un objet posé comme bon en soi, puisque c’est lui qui détermine ce qui permet de vivre davantage, mieux. Nous ne poursuivons que ce qui est susceptible d’augmenter notre « puissance d’agir » ; lorsque ce petit miracle se produit, nous éprouvons de la joie, ce « passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection ».

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