Henri Atlan. « Nous sommes responsables de ce que nous n’avons pas choisi »

« Dans la tradition juive, la réception de l’Ecclésiaste a suscité des débats. Dans le Talmud, il est dit qu’initialement les Sages ne souhaitaient pas inclure le livre dans le canon biblique. Finalement, ils l’ont admis. Comment expliquer cette réticence, et cette approbation ? Les Sages pointent des contradictions qui brouillent le message : tantôt l’Ecclésiaste condamne le rire, tantôt il le glorifie ; tantôt il rejette la joie comme mauvaise, tantôt il en fait l’éloge. Cela n’est pas sans rapport avec le thème général du livre : désespoir ou sagesse lucide qui n’exclut pas la joie. Mais le prologue et l’épilogue apparaissent aux sages du Talmud comme des “paroles de Torah”, c’est-à-dire de sagesse. Au commencement du texte, il est écrit que les hommes ne tirent pas de profit de leur travail sous le soleil ; mais alors, c’est peut-être différent s’ils travaillent au-dessus du soleil, dans l’étude de Torah. Quant à la conclusion, curieuse et apparemment piétiste, elle ne se comprend qu’après avoir lu et interprété tout ce qui précède. Car, d’un côté, Qohélet a tout essayé : il a amassé des richesses, il s’est adonné aux plaisirs, y compris de la chair ; il a également et surtout acquis la sagesse. Et cela, comme tout le reste, est “vanité et poursuite de vent”. Mais d’un autre côté, “mieux vaut être un sage qu’un imbécile”, dit-il ; car l’un “a des yeux dans sa tête et marche dans la lumière”, tandis que l’autre est dans “l’obscurité”. Néanmoins tous devront mourir de la même façon et “comme des bêtes”. Aussi, au bout du compte, “manger”, “boire” et “se réjouir des fruits de son travail” sont les seuls biens qui restent, dont l’homme peut vraiment profiter dans le présent. D’où la conclusion sur un “ça” qui est “le tout de l’homme”, “craindre haélohim et garder ses commandements”, dans le présent auquel tout son monde se réduit. C’est cela l’épilogue, qui, avec le prologue, est considéré par les sages du Talmud comme paroles de Torah et leur permet d’inclure la totalité du livre dans le canon biblique des livres révélés.