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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Bertrand Alary / Veronique Blin / Julien Mecchi / Agence Dalle

Hellfest. La douceur du metal

Denis Moreau publié le 26 septembre 2017 17 min

Qu’est-ce qui peut pousser chaque année Denis Moreau, philosophe spécialiste de Descartes, de surcroît catholique, à se mêler aux 150 000 spectateurs de cette « fête d’enfer », l’un des plus grands festivals du rock le plus dur d’Europe, et par ailleurs cible régulière des associations chrétiennes intégristes? Est-ce par goût pour cette musique? Ou pour y retrouver un sens de la communion oublié au sein d’un Occident sécularisé?

Le Hellfest, c’est le paradis du métalleux : l’un des plus grands festivals européens consacrés à cette musique, un site de 14 hectares, 150 000 entrées en trois jours, 160 groupes répartis sur six scènes de telle façon que, de 10 heures du matin jusqu’au bout de la nuit qui suit, ça n’arrête jamais, avec des artistes peu connus aussi bien qu’avec des cadors dans leur genre ou des super­stars planétaires. Que remarquerait un extra­terrestre débarquant là ? L’homogénéité raciale, d’abord. Quasiment pas de Noirs ni de Beurs, des Blancs, mais de tous âges (moyenne : 31 ans) et de nombreuses nationalités (70). Ensuite, la prédominance d’une population mâle (à vue de nez, 70 % du public et 95 % des musiciens) et plutôt diplômée – 44 % des festivaliers sont titulaires au moins d’un bac +3. Et aussi pas mal de gens, des deux sexes, dont le look vous ferait changer de trottoir si vous les croisiez dans la rue : tatou­ages, piercings et écarteurs de lobes d’oreilles, quelques crêtes punks colorées, jupes de cuir cloutées et bas résille, tee-shirts morbido-gothiques ornés de signes cabalistiques et textes indéchiffrables célébrant les mérites de tel groupe ou de tel festival, le tout noir de préférence. Partout, on boit de la bière. De la musique qui fait, vraiment, beaucoup de bruit. Des familles avec de jeunes enfants. Et plein de déguisements de tous ordres (dont, cette année, pour une raison que je n’ai pas eu le loisir d’élucider, un nombre anormalement élevé de festivaliers costumés en Power Rangers).

Commençons par cette intrigante histoire de déguisements. J’aborde Matthieu, 29 ans, habitué du festival, en Arlequin. Pourquoi ? « Tout le monde est en noir, il faut apporter un peu de couleur. » Ah. David, Louis, Guillaume, 26 ans, sobrement vêtus de combinaisons moulantes jaunes, vertes et rose fluo avec une paire d’ailes assortie dans le dos. Ils sont, m’expliquent-ils, déguisés en « fées-princesses ». Pourquoi ? « Parce que ça va bien avec le thème du festival. » Allons bon. Florent, en banane géante, « parce que c’est tout ce que j’avais comme déguisement ». Mais encore ? « Surtout, ça permet d’établir des contacts, les gens viennent discuter avec moi. » Qu’est-ce qui lui plaît ici ? « L’ambiance, il n’y a pas de haine, pas de violence, on n’est pas jugé, tout le monde est gentil. Ce n’est pas comme dehors. » Alors que je m’approche d’un gars habillé en moine, je suis accosté par François, torse nu, qui me demande, avec un grand sourire : « Je peux te faire un câlin ? » Voilà autre chose ! François a l’air sympa, quoique ruisselant de sueur et imbibé de bière. J’acquiesce donc pour un petit câlin, pas trop serré, et j’en profite pour discuter : c’est son premier « Fest », il est frappé par la « spontanéité et l’amitié » qui y règnent, il aime ce qu’il appelle « le contraste entre le déchaînement de la musique et l’affection qui émane des gens ». C’est ce que me diront, d’une façon ou d’une autre, les personnes que j’ai interrogées : « atmosphère de fraternité », « ambiance pleine d’amour et d’énergie », « communion », « les gens sont cool, on peut parler à tout le monde », « c’est à la fois démesuré et superconvivial » (Marie-Pierre, 54 ans). Et de fait, depuis des années que je viens ici, je n’ai jamais vu une bagarre, tout le monde a toujours été fort urbain avec moi, et les gros durs tatoués me gratifient en général d’un « Oh ! pardon monsieur » quand ils me bousculent par inadvertance.

Un tel unanimisme cool finit par m’agacer. À mes questions, j’ajoute donc : « Mais alors, le Hellfest, est-ce mieux que la vraie vie ? » Là, les réponses divergent. Pas mal de « oui », mais aussi des réflexions du type : c’est comme l’orgasme, c’est jouissif parce que c’est intense et fugace, mais en permanence, ce serait trop.

 

Pascal, king of metal

«Quel contraste entre la joie paisible des festivaliers et le caractère sombre de chansons qui parlent du mal de vivre, de la déréliction des lendemains de biture ou de fête de la chair, de la tentation du suicide aussi»

Denis Moreau

Une sorte de parenthèse enchantée, donc, de suspension de la violence du monde par la communion dans la brutalité du son. Rien de nouveau sous le soleil de ce samedi de juin : le Hellfest, c’est la modalité rock de la catharsis du vieil Aristote. Ou le monde à l’envers : en ville, les gens sont bien habillés, policés, sobres, mais souvent animés par une forme de compétitivité, d’agressivité, voire de méchanceté. Ici, les apparences et la musique sont féroces, mais c’est fraternel et tendre sur le fond. Et comme dans la catharsis, il est question de purgation des passions, si l’on considère le contraste entre, d’une part, la joie paisible et la douceur des festivaliers et, d’autre part, le caractère violent, sombre, gore, torturé, écartelé de chansons qui parlent du mal de vivre, du désespoir, de la déréliction des lendemains de biture ou de fête de la chair, de la tentation du suicide aussi. C’est cela, le rock dans ses versions bruyantes : un dispositif efficace de prise en charge de nos aspects bigarrés et ondoyants, destroy, déchirés et tragiques. De ce point de vue, certains philosophes apparaissent rock, d’autres pas : Platon, avec sa condition humaine écartelée entre intelligible et sensible, est assez rock. Aristote, qui nous unifie, ne l’est pas. La Méditation IV de Descartes (« je suis comme un milieu entre Dieu et le néant ») ou l’Éthique III de Spinoza et son cortège tiraillé de passions tristes sont rock. La Méditation VI et son « vrai homme » tout un, ou la béatitude de l’Éthique V, beaucoup moins. Kierkegaard et Schopenhauer sont rock. Levinas, pas du tout. Mais le King, c’est Pascal : « Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradictions, quel prodige ? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers. […] S’il se vante je l’abaisse. S’il s’abaisse je le vante. Et le contredis toujours jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible. […] On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois. » Blaise Pascal, philosophe officiel du Hellfest ? Il faudra que j’en touche un mot aux organisateurs.

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