Gunnar Olsson : “En Suède, le virus nous a surtout donné l’occasion d’affirmer notre obéissance et notre nationalisme”
En n’imposant pas de confinement et en gardant écoles, bars et restaurants ouverts, la Suède a choisi une stratégie unique dans l’Union européenne. Le grand géographe suédois Gunnar Olsson s’interroge sur les motivations profondes de cette option – et brosse un tableau plutôt sombre de son pays.
Face à l’épidémie, la Suède a suivi une stratégie unique en Europe en n’imposant aucun confinement strict. Comment ce choix audacieux, un temps envisagé par Boris Johnson au Royaume-Uni, a-t-il été accepté par la population ?
Gunnar Olsson : Oui, la Suède a suivi une ligne stratégique particulière, puisque aucune mesure de confinement n’a été imposée, les bars et les restaurants sont restés ouverts depuis le début de l’épidémie, le télétravail a été recommandé sans plus, et il n’y a même pas eu d’incitation à porter un masque dans la rue. Seules les assemblées de plus de cinquante personnes – ce qui inclut les matchs de football – ont été annulées, ainsi que les visites dans les maisons de retraite. Sinon, rien. Cette stratégie est formidablement populaire – alors que j’y suis moi-même assez réticent. Aussi surprenant que cela puisse paraître à un Français ou à un habitant d’une autre démocratie, les Suédois ont une confiance complète dans leurs dirigeants et leurs élites.
“Les Suédois sont obéissants, mais leur obéissance ne vient pas de la crainte d’une punition ni d’une quelconque contrainte. Ils obéissent par confiance”
Gunnar Olsson
D’où vient une telle confiance ?
C’est une très vieille histoire, qui a des racines profondes. Les Suédois sont obéissants, mais leur obéissance ne vient pas de la crainte d’une punition ni de l’exercice d’une contrainte directe. Ils obéissent par confiance. Nous avons confiance dans nos dirigeants. Les origines de cette attitude remontent aux XVIIe et XVIIIe siècles. Mise à part une brève expérience de monarchie absolue – et encore, beaucoup plus partielle qu’en France – entre 1680 et 1719, la Suède a très tôt connu une forme de parlementarisme. Les nobles ont été associés aux décisions de la couronne, une certaine collégialité a presque toujours existé. En revanche, cela n’a pas été le cas en Norvège, car notre voisin norvégien a été placé longtemps sous la domination danoise – il y a eu un impérialisme danois, qui a permis à ce petit pays d’exercer sa domination non seulement sur la Norvège mais aussi sur le Groenland. Nous avons conservé ici des autorités indépendantes, y compris pendant une période, allant de 1814 à 1905, où il y eut une union des royaumes norvégiens et suédois. Mais pour revenir à la Suède, nous sommes sous une domination presque continue du Parti social-démocrate des travailleurs depuis 1917, tant et si bien que chez nous tous les politiciens sont plus ou moins sociaux-démocrates ou en tout cas tous raisonnent selon les catégories de la social-démocratie. C’est pourquoi nous n’avons pas l’habitude d’entendre, dans le débat public, de fortes oppositions. Il y a un unanimisme suédois propice à la confiance. Mais plus encore que d’unanimisme, je dirais qu’il s’agit d’une sorte de corruption, pas d’une corruption au sens classique mais d’une corruption intellectuelle et morale.
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