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Dans la ville de Plovdiv, en Bulgarie, la statue haute de dix mètres d’un soldat soviétique, surnommée “Aliocha”. © Michel Eltchaninoff

Faut-il sauver le soldat Aliocha ?

Michel Eltchaninoff publié le 22 janvier 2024 4 min

« Samedi matin, sous la neige mouillée et le vent glacial, j’ai gravi en glissant des centaines de marches sur une colline boisée dans la ville de Plovdiv, en Bulgarie. Au sommet, j’ai découvert la statue, haute de dix mètres, d’un soldat soviétique, surnommée Aliocha, du nom de son modèle sibérien. Dominateur et viril, il veille sur la cité, fier de l’avoir “libérée” après la Seconde Guerre mondiale. Sur le socle de granit, des bas-reliefs montrent d’ailleurs des femmes et des enfants bulgares offrant des grappes de raisin et des gâteaux aux héroïques soldats de l’Armée rouge. Le monument risque d’être démonté prochainement. Et cela fait pas mal de vagues dans tout le pays. Ici, le regard sur le passé conditionne l’avenir.

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Je ne me suis donc pas gelé les mains par hasard. Invité à Sofia par l’Institut français de Bulgarie pour évoquer les dissidents, j’ai profité d’un jour de liberté pour foncer vers la deuxième ville du pays, Plovdiv. Construite sur des ruines grecques et romaines, abritant des basiliques byzantines couvertes de mosaïques exceptionnelles, des mosquées aux minarets délicats et des églises orthodoxes, Plovdiv a une vieille ville envoûtante. Lamartine, qui y a séjourné, l’avait compris : ici, le temps suspend son vol. Mais si cette ville est au cœur des conversations dans tout le pays, ce n’est pas pour sa beauté. “Aliocha”, “Aliocha”, j’ai entendu ce prénom russe dès ma première soirée, dans un bar à vin bulgare. Le monument aux soldats soviétiques vient d’être démonté dans la capitale. Mais le plus célèbre, le plus symbolique, c’est Aliocha de Plovdiv. Les autorités pro-européennes de la ville viennent d’annoncer leur intention d’organiser un référendum local pour se débarrasser de ce symbole de l’occupation soviétique, qui a plongé la Bulgarie dans des décennies de dictature impitoyable.

Les réactions des partisans de la Russie, qui représentent entre 30 et 60% de la population bulgare (impossible d’avoir des chiffres précis, car la russophilie semble ici atmosphérique), ne se sont pas fait attendre. Trois jours avant ma visite, une manifestation a été organisée à Plovdiv pour protester contre le démontage. L’information est remontée jusqu’à la Douma (chambre basse) en Russie. La semaine dernière, les députés ont exprimé leur “extrême contrariété face à cette proposition provocatrice et cynique”, un acte de “russophobie” caractérisé. Ils appellent le “peuple-frère” (mais petit frère, s’il vous plaît) à ne pas céder à la guerre culturelle menée par l’Otan contre leur mémoire commune. Les réactions des Bulgares m’apparaissent d’ailleurs contrastées. Une habitante de Plovdiv, d’un certain âge, m’explique qu’elle s’oppose au meurtre d’Aliocha : “Il ne faut pas toucher au passé.” En plus, le monument “sert de point de repère” dans la ville. Bof. Lorsque je pose la question à une artiste sofiote, elle soupire : “C’est le syndrome de Stockholm : quand on sait que l’Armée rouge a tué trente mille personnes après avoir envahi la Bulgarie, on a du mal à croire que des gens puissent vouloir célébrer cette mémoire.”

L’adhésion actuelle d’une partie de la population à un régime communiste inféodé à Moscou est troublante. La pensée totalitaire infuse ses effets des décennies après sa disparition. Sa force d’inertie, voire de renaissance, est extraordinaire. Et le poutinisme international en joue à plein aujourd’hui. C’est sans doute qu’elle a enserré les consciences dans un récit capable de remplacer la réalité par une fiction exaltante. La guerre mémorielle, après une première vague dans les années 1990, est relancée dans toute l’Europe centrale et orientale autrefois kidnappée par la Russie.

D’un point de vue philosophique, cela ne s’explique pas uniquement par la survivance ou le retour de mémoires mal digérées. Ce que révèle cette construction de l’avenir par le regard vers le passé est plus profond. Maurice Merleau-Ponty l’aborde dans un chapitre de la Phénoménologie de la perception (1945) consacré à la temporalité. Fidèle à la démarche phénoménologique, il insiste sur la nature temporelle de notre être au monde. Le temps n’est pas la succession de moments qui vont du passé vers l’avenir, ni même, pour notre conscience, de l’avenir vers lequel nous tendons, au passé qui sédimente notre expérience présente. Même si nous tentons de séparer intellectuellement ces dimensions, elles s’interpénètrent dans une synthèse en reformation permanente. Comme l’écrit Merleau-Ponty, “dans ‘mon’ présent, si je le ressaisis encore vivant avec tout ce qu’il implique, il y a donc une extase vers l’avenir et vers le passé qui fait apparaître les dimensions du temps, non comme rivales, mais comme inséparables : être à présent, c’est être de toujours, et être à jamais”. Le passé n’est pas passé, pour l’individu comme pour une collectivité. Il est là, dans les consciences, même si l’on n’y prête pas trop attention, et revient se mêler de nos affaires. Les Bulgares, face au passé communiste, jouent ainsi leur présent – et surtout leur avenir.

C’est pourquoi, à cet effrayant soldat au si doux prénom, je ne dis ni “Enchanté, camarade” ni “Adieu, assassin”. Je murmure seulement : “À bientôt. Mais dans un musée.” »

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