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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Fabienne Verdier et Edgar Morin en 2017 © David Coulon

Fabienne Verdier/Edgar Morin. L’union des contraires

Fabienne Verdier, propos recueillis par Michel Eltchaninoff publié le 05 juillet 2017 13 min

Lorsque le penseur de la complexité et l’artiste de l’ascèse inspirée par la Chine se rencontrent, on découvre qu’au terme d’un long travail de transformation, la sophistication peut aboutir à la simplicité la plus enfantine.

Pour rencontrer Fabienne Verdier, il faut quitter la capitale, puis traverser d’immenses champs ponctués de pharaoniques pylônes. À 96 ans, alerte et disert, Edgar Morin fait remarquer l’absence d’oiseaux, de papillons et de fleurs, et déplore les désastres de la monoculture industrielle. Mais un peu plus loin, dans le parc naturel du Vexin, on découvre un village nettement plus accueillant. C’est ici que Fabienne Verdier vit et peint depuis vingt-trois ans, comme en témoignent les cabanes, déjà délabrées, de ses enfants dans le jardin. Le lieu est si calme qu’un faisan y risque quelques pas. Après de joyeuses accolades, la peintre et le philosophe se dirigent vers l’atelier ultramoderne, qui contraste avec des bâtisses abritant la maison et la biblio­thèque de l’artiste. Au son de l’eau d’une fontaine, on découvre un intérieur à deux niveaux, baigné de soleil. C’est en bas que Fabienne Verdier peint tous les matins, maniant un pinceau géant qui peut s’appliquer à la verticale, selon la tradition chinoise, sur la toile étendue au sol. Nous nous installons autour d’une table du niveau supérieur, orné de grands tableaux.

Après avoir appris l’art traditionnel chinois dans les années 1980, durant un séjour éprouvant de près d’une décennie dans le Sichuan, Fabienne Verdier s’est employée à traduire la variété du monde par des formes minimalistes – parfois d’un seul trait de pinceau. Mais l’atmosphère de l’endroit montre que cette épure n’est rendue possible que par une longue méditation. Edgar Morin a volontiers accepté la plongée dans cet univers à part. Dans son ouvrage Sur l’esthétique, il voit l’artiste comme une sorte de chaman qui, dans un état de « transe non convulsive », atteint les réalités ultimes de l’Univers. Il est curieux de voir si Fabienne Verdier correspond à cette description. Cependant, sa conception du monde ne s’oppose-t-elle pas frontalement à celle de l’artiste minimaliste ? En effet, il a érigé une grandiose cathédrale, La Méthode, ode à une « pensée complexe » qui récuse toutes les simplifications sur lesquelles s’est appuyé l’Occident pour développer sa puissance. Et « l’idée simple d’un ordre éternel ne saurait être remplacée par une autre idée simple, serait-ce même le désordre ». Peut-il accepter la quête de sobriété, d’humilité, de dénuement, qui est celle de la peintre ? Au fil de cette rencontre amicale et harmonieuse, Edgar Morin et Fabienne Verdier s’accordent sur un point essentiel : il n’y a rien de plus difficile que de faire simple…

 

Fabienne Verdier : L’idéal de simplicité, je suis allée le chercher très loin d’ici. Après avoir été déçue par l’enseignement sans rigueur ni regard des Beaux-Arts en France, j’avais décidé de partir étudier l’art en Chine. Au début des années 1980, je me suis donc retrouvée la première étrangère à être admise dans une école d’art située dans la province éloignée du Sichuan. J’y ai vécu dans des conditions spartiates et difficiles, car j’étais, du moins au début, isolée et surveillée. Je ne savais pas alors que j’allais y rester pres­que dix ans. À mon arrivée, les enseignants m’ont demandé de quelle manière j’exprimais, en peinture, la complexité du réel, par exemple celle d’un arbre. J’ai répondu que je devais sortir dans la cour avec un carnet de croquis, effectuer des études, décider d’une composition, avant d’enchaîner les séances pour poser les couches de couleur. Les professeurs ont éclaté de rire. J’ai alors compris que je devais tout reprendre à zéro.

Pour commencer, il faut réussir à tracer un premier trait de peinture, le Un de la simplicité, qui peut être vertical ou horizontal. En effet, en Chine, il faut parvenir à suggérer, en toute simplicité et avec fulgurance, en un seul trait de pinceau, la complexité de l’expression vitale du réel. J’avais 22 ans. Déjà j’étais débordée par cet Un. Et je lui ai consacré ma vie, sous la direction d’un maître exigeant et versé dans la méthode traditionnelle, pendant trente ans ! Ce premier bâton est comme une matrice qui, dans sa mutation constante, peut raconter la variété et la complexité du monde sensible. Avec leur culture plusieurs fois millénaire, les Chinois m’ont appris que ce trait d’énergie avait un corps, un esprit, une peau, une circulation interne, une respiration. J’ai effectué une expérience d’abstraction qui m’a permis de passer de la forme complexe de l’idéogramme, qui compte dix à vingt-quatre bâtons, à un unique trait de pinceau qui transmet au monde un souffle d’énergie de matière, c’est-à-dire la quintessence du réel. On peut ainsi suggérer, dans la simplicité d’un seul trait, toute une pensée philosophique, une éthique, une approche du monde sensible. Ensuite, j’ai effectué le même travail qu’avec les idéogrammes, mais directement sur la complexité des formes du monde. Lorsque je me retrouve devant un arbre, un paysage, une expérience musicale, une onde sonore, un mot, ou, comme en ce moment, une expérience du vide, je suis le même principe d’une quête de la simplicité – d’une écriture minimale, comme une force à l’œuvre d’une complexité vivante.

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