Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© iStockphoto

Entretien

Existe-t-il un droit d’être protégé de la religion ?

Astrid von Busekist, propos recueillis par Stefania Gherca publié le 04 mai 2023 6 min

Dans son dernier ouvrage, La Religion au tribunal (Albin Michel, 2023), la philosophe Astrid von Busekist s’interroge sur les liens qui existent entre politique et religieux, liberté et égalité. Sa démarche est à ce titre originale, puisqu’elle s’appuie sur trois jugements rendus par différentes cours de justice en Europe. Entretien.

 

Pourquoi avoir choisi le prisme du tribunal pour étudier les religions dans le contexte des démocraties libérales ?

Astrid von Busekist : Le tribunal est un lieu d’expérimentation. Chaque jugement est un acte politique car il s’exprime dans un contexte social, médiatique et politique particulier. Le juge n’est pas, comme le dit Dworkin, un arbitre de tennis qui annonce que la balle est bonne ou non : il n’applique pas strictement et uniformément la règle. C’est au tribunal, sorte de miroir de nos sociétés, que les juges bricolent avec ce que l’on appelle à tort le « dogme de la séparation », ou la laïcité dans le contexte français. À tort, car l’on se rend vite compte de la porosité des frontières entre le politique et le religieux. Le tribunal est enfin une superbe mise en scène des grandes catégories que l’on manie en philosophie : l’équité, la liberté, l’égalité, l’autonomie.

 

Vous développez trois affaires judiciaires qui ont vraiment eu lieu : le cas d’une famille chrétienne évangélique qui voulait scolariser ses enfants à domicile, la criminalisation de la circoncision d’un petit garçon musulman, et les “lois du guett”, qui permettent une sorte d’interlégalité entre le droit civil et les commandements rabbiniques. Qu’est-ce qui vous a intéressée dans ces cas ?

Les trois cas mettent en scène des rencontres avec trois religions différentes, ce qui me paraissait important – y compris pour montrer que l’intolérance ou l’interdiction de pratiques ne frappe pas toujours et pas seulement les religions minoritaires. Les trois scénarios parlent ensuite de liberté religieuse et de « liberté de la religion », autrement dit d’un « droit », contestable, d’être « protégé » de la religion (de ses parents, par exemple). Les notions d’autonomie, de neutralité et de consentement sont également présentes dans chacun des cas, mais avec un poids à chaque fois différent. Mais, de manière plus importante, j’ai été intéressée par l’équilibre entre la liberté et l’égalité qui se joue dans chacun des cas. Le premier cas concerne des parents qui voulaient que leurs enfants soient scolarisés à domicile : cela n’est pas possible en Allemagne. Le gouvernement estime en effet que la socialisation du citoyen démocratique doit se faire à l’école. Ils ont perdu leur procès et ont demandé l’asile politique aux États-Unis. Le deuxième cas concerne un médecin musulman qui a pratiqué une circoncision sur un enfant de quatre ans. À une bataille juridique s’est vite substituée une bataille politique, puisqu’une initiative interpartisane a recommandé que la circoncision soit dépénalisée : les obligations de croyance des communautés minoritaires l’ont ici emporté sur la loi générale. Enfin, j’ai étudié le cas des lois du guett. Dans la religion juive, le guett (גט) est le billet de divorce échangé devant un tribunal rabbinique. Il est en principe consensuel, mais le refus d’une partie n’a de conséquences dommageables que sur la femme. Face à cette situation, les législateurs américains (mais aussi canadiens et britanniques) ont coopéré avec les autorités rabbiniques pour trouver une solution qui fait primer l’égalité femme-homme, sur la liberté religieuse.

 

Pourquoi la démocratie libérale a-t-elle du mal à entendre l’argument de la tradition ?

Elle n’est pas nécessairement sourde à l’argument de la tradition ; mais à condition que la tradition et ses pratiques soient compatibles avec les valeurs libérales-démocratiques. Les rites extérieurs à la culture dominante (chrétienne ou sécularisée) apparaissent en effet suspects lorsqu’ils heurtent ce qui définit l’individu libéral : sa liberté, son corps, son autonomie. Le cas de la circoncision, que j’analyse longuement, en est le parfait exemple. Le religieux ne bénéficie ici d’aucun statut particulier ; il peut même apparaître comme une circonstance aggravante. Certains juges ont d’ailleurs considéré ce rite comme archaïque et inutile, essayant de légiférer à l’intérieur même de la religion en opposant la pratique à l’hygiène, la modernité à la déraison. Il a été cependant politiquement impensable que l’Allemagne, forte de son histoire coupable, n’autorise pas la circoncision.

 

Face à ces dilemmes, vous évoquez la nécessité d’une “tolérance pragmatique”. Qu’entendez-vous par ce terme ?

J’ai voulu montrer avant tout que notre statut de citoyen ne doit pas pâtir de notre appartenance religieuse : nos croyances et nos préférences philosophiques nous appartiennent, mais en tant que citoyens, nous devons pouvoir bénéficier de la protection de l’État de droit. Il appartient à l’État (et aux écoles) d’être neutres, pas aux citoyens. J’estime pour ma part que le seuil entre pratiques tolérables et intolérables doit être fixé de manière dialogique et réciproque. On ne peut se contenter d’une tolérance verticale où l’Etat seul décide ce qu’il veut tolérer ; ni d’un idéal de la tolérance comme disposition vertueuse. Il nous faut une tolérance pragmatique ou civique qui vise la philia, l’amitié civique. C’est le deuxième volet du principe de non-nuisance : ne pas nuire à autrui, car ma liberté s’arrête là où commence celle des autres, mais aussi ne pas nuire à ce qui maintient la paix civile en démocratie. Les bonnes questions ressemblent à celles-ci : quels sont les bienfaits sociaux de la tolérance ? Quelles valeurs sociales réaliserait la tolérance de certaines pratiques religieuses par-delà la séparation entre les sphères? Un exemple pratique de ce type de tolérance : rien n’obligeait le législateur américain à se rendre sur le terrain du religieux dans le cas des guittin (גיטין). Le divorce juif est un problème propre à la loi juive, la halakha (הלכה), que seule la halakha peut résoudre. Pourtant, juristes civils et représentants des communautés rabbiniques se sont mis d’accord sur une interlégalité. Ils ont ainsi chassé deux idées absurdes : puisque nous sommes responsables de nos croyances, nous devons en « assumer le coût » ; puisqu’il existe un « droit de sortie » des communautés religieuses, alors celles et ceux qui y demeurent le font de leur propre gré. En bref, un pragmatisme qui réalise l’une des valeurs cardinales de la démocratie : l’égalité. Bien sûr, il y a des limites à ce pragmatisme. Mais toute l’idée du livre est de dire qu’il n’y a pas de seuil a priori, que celui-ci se fixe dans son contexte, en contre-pesant les principes en présence.

 

Quelle est cette double accusation de paternalisme que se renvoient les acteurs religieux et étatiques ?

Il est frappant de constater que dans le rapport au religieux, les convictions libérales jouent à front renversé. De deux manières. Pour l’État d’abord, la socialisation religieuse est paternaliste. Je rappelle qu’une loi « paternaliste » est une loi qui protège les individus d’eux-mêmes (avec l’idée sous-jacente que les individus sont des enfants, incapables de décider pour eux-mêmes). Que la littérature libérale sur l’éducation s’oppose au « paternalisme » des parents est contre-intuitif. C’est pourtant ainsi qu’est conceptualisé le rôle des parents : leurs convictions déraisonnables (religieuses) sont à bannir ; ils doivent agir in loco societas, et fabriquer des citoyens. Ils sont au service de l’État avant d’être au service de leurs enfants. On le voit, le libéral est tenté de prescrire ce qui est bien et mal, ce qui n’est pas son rôle. Une deuxième inversion concerne le rapport entre opinion et vérité. La démocratie est, en principe, le régime de l’opinion et du débat accusatoire ; tandis que la vérité est le régime du religieux : la foi, l’existence de Dieu n’est pas soumise au débat. Les libéraux souhaitent pourtant soumettre la foi au régime de la falsifiabilité scientifique. De sorte que, comme dans le cas de l’école à la maison, le libéral oppose au croyant la vérité de la science et fait de la vérité du croyant une simple opinion.

 

La Religion au tribunal, d’Astrid von Busekist, vient de paraître aux Éditions Albin Michel. 384 p., 22,90€ en édition physique, 15,99€ en version numérique, disponible ici.

Qui juge quoi quand les pratiques religieuses s’opposent à la loi générale ?
Expresso : les parcours interactifs
Comment commenter un texte philosophique ?
Une fois qu’on a compris la thèse d’un texte de philo, il n’y a plus rien à faire ? Faux ! Apprenez comment commenter un texte de philosophie avec une méthode imparable, étape après étape. 
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Bac philo
2 min
La justice et le droit
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

Si, étymologiquement, la justice et le droit sont très proches (jus, juris, qui donne l’adjectif « juridique »), la justice est aussi une catégorie morale et même, chez les anciens, une vertu. Nous pouvons tous être révoltés…


Article
7 min
Juifs, musulmans et chrétiens : trois religions pour un même Dieu ?
Octave Larmagnac-Matheron 28 mars 2021

La « Maison de l’unité » ouvrira ses portes à Berlin en mai prochain. L’objectif ? Réunir dans un même bâtiment des lieux de culte…

Juifs, musulmans et chrétiens : trois religions pour un même Dieu ?

Article
7 min
Légalisation du cannabis : par-delà le bien et le mal
Pierre Terraz 26 mai 2021

On peut être pour ou contre la légalisation du cannabis. Le débat est complexe, porteur d’importants enjeux : sociaux, économiques,…

Légalisation du cannabis : par-delà le bien et le mal

Bac philo
3 min
La religion
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

La religion est un système de croyance qui repose sur deux liens : « vertical » – avec un ou des dieux – et « horizontal » – avec une communauté d’hommes de foi. Si vous êtes croyant, la religion dépendra pour vous d’une révélation,…


Bac philo
2 min
L’existence et le temps
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

L’existence, c’est le fait d’être. Elle se distingue de l’essence qui désigne ce qu’une chose est. À l’exception de Dieu dont l’existence est éternelle, le propre de l’existence est d’être finie, limitée dans le temps. L’existence s…


Article
8 min
Joanna Nowicki : “L’Europe centrale et orientale ne se voit pas comme une périphérie, mais comme le coeur même de l’Europe”
Pierre Terraz 13 juillet 2021

Alors que la Hongrie vient de faire entrer en vigueur une loi contre la « promotion » de l’homosexualité, malgré une sanction annoncée…

Joanna Nowicki : “L’Europe centrale et orientale ne se voit pas comme une périphérie, mais comme le coeur même de l’Europe”

Bac philo
4 min
Corrigés du bac philo – filière technologique : “La liberté consiste-t-elle à n’obéir à personne ?”
Frédéric Manzini 15 juin 2022

Lorsqu’on obéit, par définition, on se soumet. À première vue, la liberté suppose donc l’absence d’obéissance. Mais cette définition de la liberté…

Corrigés du bac philo – filière technologique : “La liberté consiste-t-elle à n’obéir à personne ?”

Article
10 min
Franck Frégosi : “Plus qu’un islam de France, il y a des islams de France”
Octave Larmagnac-Matheron 20 avril 2021

De quoi parle-t-on lorsque l’on évoque “l’islam de France” ? Les tensions actuelles au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM)…

Franck Frégosi : “Plus qu’un islam de France, il y a des islams de France”

À Lire aussi
Vincent Peillon : “Pour Jaurès, la laïcité était une religion”
Vincent Peillon : “Pour Jaurès, la laïcité était une religion”
Par Charles Perragin
mai 2021
Marcel Gauchet : “Culturellement, le monde arabe s’occidentalise, lui aussi”
Marcel Gauchet : “Culturellement, le monde arabe s’occidentalise, lui aussi”
Par Charles Perragin
décembre 2020
Michael Lonsdale et Javier Teixidor. Le croyant et le savant
Michael Lonsdale et Javier Teixidor. Le croyant et le savant
Par Martin Legros
juillet 2006
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Existe-t-il un droit d’être protégé de la religion ?
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse