Être courageux, est-ce endurer ou rompre ?

Maureen est là, qui sanglote, qui vous supplie de l’achever. Votre mariage est une catastrophe, les scènes violentes s’enchaînent. Il y a quelques jours, vous étiez sur le point de partir quand Maureen, pour vous retenir, a prétendu être enceinte en vous mettant sous le nez un test falsifié (elle avait payé une Noire dans la rue pour faire le test à sa place), et par ce stratagème elle vous a rattaché à elle, vous a arraché un supplément de cette vie conjugale abominable. Mais vous venez de découvrir la supercherie.

Vous vous appelez Peter Tarnopol. Il y a quelques années encore, vous acheviez vos études et l’avenir vous souriait – et maintenant, vous n’avez plus le choix qu’entre le calvaire et le divorce. Mais peut-être est-ce vous, et vous seul, le responsable du naufrage de cette union. Il est possible qu’avec un peu de bonne volonté, votre mariage reparte sur de meilleures bases. Qu’allez-vous faire ? Êtes-vous suffisamment courageux pour la quitter ? À moins que partir ne soit une lâcheté ? Mais avez-vous le courage de continuer à vivre avec Maureen ?

Pour le meilleur et pour le pire

Ce dilemme moral est délicat, précisément parce que le même acte peut être considéré comme courageux ou lâche. Rompre, cela peut signifier fuir ses responsabilités, mais tout aussi bien accepter de courir le risque de la solitude, d’entrer dans une zone d’inconfort. Insister dans une situation ­pénible, cela peut être tout aussi bien un signe de capitulation que de force morale. Comment y voir plus clair ? Si vous demandez conseil à un prêtre, il y a fort à parier qu’il vous enjoindra de rester. Parce que le mariage n’est pas fragilisé par les humeurs passagères. Il s’agit d’un lien en Dieu, à supporter jusqu’à la mort. On se marie également pour le pire… Pour qui a la foi, ce devrait même être l’évidence : nous devons cultiver les vertus d’abnégation, de renoncement, de patience face aux épreuves que Dieu nous envoie – si nous faisons partie des doux, des endurants, une éternité de félicité nous attend. « Eh bien, moi je vous dis : ne résistez pas à celui qui vous veut du mal ; au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre », enseigne l’Évangile selon saint Matthieu (V, 39). Évidemment, si vous êtes athée, les choses se compliquent. Aucune récompense n’est à attendre après le trépas. Vous êtes fondé à rechercher la satisfaction essentielle ici et maintenant. Si vous demandez conseil à un psychologue, ou si vous vous allongez sur le divan d’un psychanalyste, il ne sera pas question de Dieu, mais du désir. Lacan ne recommande-t-il pas : « La seule chose dont on puisse être coupable, au moins dans la perspective analytique, c’est d’avoir cédé sur son désir » ? Et ce désir profond, qui est en vous, que vous n’avez jamais eu le courage de réaliser pleinement, pourquoi ne tenteriez-vous pas de le laisser s’exprimer ? Vous ne parvenez pas à vous arracher à ce doute : faut-il préférer l’endurance au nom de l’humilité ou la rupture au nom du désir ?