Et s’il en fallait très peu ?

Alexandre Lacroix publié le 6 min

Le goût de la vie s’éprouve-t-il quand tout va bien, dans la tranquillité ou, au contraire, dans la poursuite des plaisirs ? La question, qui agitait les penseurs de l’Antiquité grecque, pourrait peut-être trouver une réponse inattendue.

« Jamais, ni en état de veille ni en songe, tu ne seras sérieusement troublé. »

C’est avec ces mots qu’Épicure achève sa Lettre à Ménécée, censée enseigner à un disciple les secrets de la vie bienheureuse et qui constitue, jusqu’à nos jours, l’un des textes les plus lus, les plus respectés parmi ceux qui ont vocation à nous guider dans l’existence. « Tu ne seras pas sérieusement troublé » : être heureux, pour Épicure, revient donc à n’éprouver aucun mal, ni du corps ni de l’esprit. Un tel idéal du bonheur, défini comme absence de douleurs, est très proche de la tranquillité, et, du reste, les Grecs avaient un mot pour désigner cet état qui leur paraissait si enviable (avant l’invention des analgésiques et des antidépresseurs) : l’ataraxie.

Posons-nous la question : suffit-il de ne pas souffrir pour goûter pleinement la vie ? Il est relativement rare que nous n’ayons réellement aucun trouble, aucune agitation en nous : cela implique que nous ayons bien dormi, que nous n’ayons aucun creux à l’estomac, mais pas non plus d’indigestion, que nous ayons l’esprit clair comme un lac de montagne, que nous ne ressentions pas de frustration sexuelle ni de tensions dans nos relations récentes avec nos proches, que nos contraintes extérieures – notre activité professionnelle, nos corvées domestiques – n’entament pas notre humeur, et, enfin, que le cours des événements du monde, de la pandémie au réchauffement climatique, ne nous pèse pas et qu’ils se déroulent pour nous, selon leur nécessité indépendante, pour ainsi dire de l’autre côté de la haie de notre jardin. Par conséquent, l’aspiration à l’ataraxie n’est pas si modeste qu’il y paraît tout d’abord. Mais est-elle suffisante ? Est-ce là le vrai, l’authentique goût de la vie – ou bien cette paix est-elle insipide ?

Expresso : les parcours interactifs
Mes amis, mes amours...
Notre amour peut-il aussi être notre ami (et inversement) ? Vaste question, qui invite à analyser le rôle de l'amitié dans les relations amoureuses.
Sur le même sujet

Article
12 min

De 2006 à 2017, Clément Rosset nous a accordé plus d’une quinzaine d’entretiens. Il les préparait toujours, et toujours de la même façon : il avait noté, sur un petit bout de papier, une idée. Une seule idée, à laquelle il tenait et qu…



Article
4 min
Barbara Bohac

Imaginez un objet sans ombre : il paraîtrait irréel. L’ombre est donc un double très particulier, qui ne remplace pas, mais au contraire atteste la réalité des choses. Le philosophe Clément Rosset l’a remarqué en rêvant sur un tableau d…


Entretien
13 min
Alexandre Lacroix

Il y a dix ans, début 2008, Clément Rosset nous donnait un grand entretien destiné à donner une vision d’ensemble de son œuvre et à éclairer ses deux concepts principaux, le « réel » et le « double ». En voici…


Dialogue
9 min
Martin Legros

L’historien d’art Jean Clair, écrivain et essayiste, et le philosophe Clément Rosset partagent leur expérience de l’état mélancolique. Au-delà de…

Clément Rosset, Jean Clair. Humeur noire

Article
4 min

Défenseur d’un réalisme radical, traquant sans relâche les illusions qui font écran au réel, Clément Rosset est mort. Il était l’un des philosophes français les plus importants, ainsi qu’un compagnon de route du journal, avec lequel il…


Article
2 min
Cédric Enjalbert

Le prix Procope des Lumières 2013 distinguant l’auteur d’un essai politique, philosophique ou de société a été attribué le 16 janvier 2013 à Clément Rosset, pour son livre «L’Invisible».