Entretien avec Laurent Ducourneau, professeur de philosophie et star des “12 Coups de midi”

D’ordinaire, vous enseignez la philosophie dans un lycée de Libourne (33), en bon fonctionnaire d’État. Qu’est-ce qui vous a pris de participer à une émission de divertissement telle que Les 12 Coups de midi ?

Laurent Ducourneau : En tant que professeur de philosophie, je vis régulièrement mon expérience à travers les yeux des philosophes, et je trouvais qu’il y a un écho intéressant dans la distinction que Vladimir Jankélévitch établit entre le destin et la destinée. En s’appuyant sur l’exemple de Rimbaud, il explique que son destin était d’écrire, d’être poète, d’être publié, etc. – autrement dit, tout ce qui était prévisible –, tandis que sa destinée était le fait qu’il puisse vendre des armes en Abyssinie. C’est à peu près la même chose en ce qui me concerne : mon destin est de de corriger des copies, d’être devant des élèves pour faire cours et les préparer aux examens, éventuellement d’écrire des livres et de participer à des colloques… mais ma destinée est de participer aux 12 Coups de midi, ce qui est une chose assez improbable et assez imprévisible !

Étiez-vous familier de ce jeu télévisé avant d’y participer ? On vous aurait peut-être plus attendu sur une émission comme Questions pour un champion…

Non, pas vraiment. J’ai une tante qui regarde, mais moi non : j’avais certainement déjà vu quelques images, mais sans m’attarder. En revanche, j’étais séduit par cette idée de contraste, avec cette idée que TF1 est une chaîne assez populaire, et que ce jeu est certes un jeu de culture générale mais aussi et surtout de spectacle. Je voulais aller là où je n’étais pas attendu en tant que professeur de philosophie. Je voulais, en quelque sorte, descendre dans la Caverne, pour reprendre l’image de l’allégorie de la Caverne qu’utilise Platon dans La République. Je me suis demandé : est-ce que ce monde de strass et de paillettes est illusoire ? Je suis très intéressé par la différence entre la réalité et l’apparence, mais comme j’ai des élans nietzschéens, je ne pose pas nécessairement de barrières entre les deux. Et finalement… certes, c’est une grosse machine qui doit faire gagner de l’argent, mais les gens que j’y ai rencontrés ne sont pas différents de vous et moi – c’est-à-dire qu’ils cherchent aussi à donner du sens à ce qu’ils font.