Entre le bien et le mal
« Pour toi, c’est quoi le mal ? », « Pour toi, c’est quoi le bien ? » Ce sont les deux questions auxquelles ont répondu des collégiens et des lycéens de différents quartiers de Paris et de sa proche banlieue. Il en ressort des propos crus, saisis à brûle-pourpoint, mais aussi des réflexions que n’auraient pas reniées certains philosophes de la morale.
Je me retrouve un vendredi après-midi devant un collège de Bobigny. Le premier à qui je tends mon enregistreur s’exprime ainsi : « Bonjour, je m’appelle Djeri. Le bien, dans la vie, c’est d’avoir une famille, d’être heureux. D’avoir des amis fiables, gentils, qui t’aident. » « Et des filles ! » ajoute son pote Yacouba. « Des filles, de l’argent, de la plata, la moulaga, quoi. » L’excitation monte autour de nous, on commence à se bousculer, à ricaner – je suis entouré d’une vingtaine d’adolescents galvanisés par l’imminence du week-end. Djeri, néanmoins, poursuit : « Le mal, c’est d’avoir des amis hypocrites, qui ne t’aident pas, qui sont mauvais. » Sofiane complète : « En plus, ils vendent de la drogue ! » « Quand t’es plus faible qu’eux, ils en profitent », ajoute Djeri, visant manifestement quelqu’un. Les remarques fusent, et ce qui se détache peu à peu des interventions, c’est une définition relationnelle du bien et du mal – bien et mal n’étant pas attachés à tel ou tel acte, ni définis par des principes intangibles, mais se rapportant à une certaine qualité des relations qu’on entretient avec les autres. « Le bien, c’est de rendre heureux ta mère, tout ça », lance Massouh. L’un de ses potes ironise : « Arrête de faire le suceur, là, avec tes grosses babines. »
À partir de là, la séance de micro-trottoir dérape. Un groupe de filles intervient, parmi lesquelles Ayana : « Ferme ta bouche Djeri, tu casses la tête. — Le bien, c’est quand tu suces. — Au nom d’Allah, je suce pas, je suis lesbienne. — T’es lesbienne, donc tu lèches. » Le dialogue devient haut en couleur, mais surtout, autour de moi, ils se battent. Comme s’ils jouaient au foot les uns contre les autres, mais sans ballon. Shakira tente quand même : « Le mal, c’est à partir de quand on fait pleurer quelqu’un. Le bien, c’est quand on arrive à le faire sourire. » Je suis intrigué : « D’accord, mais c’est habituel que vous vous frappiez comme ça ? — Là, c’est pas de la bagarre, m’explique-t-elle, c’est juste du taquinage. » Pendant ce temps, Yacouba sort une cordelette de Nylon de sa poche. Il la passe, par derrière, autour du cou de Djemila, la serre, elle flanche, il se met à la traîner par terre en la rouant de coups de pied. « Je comprends… Et maintenant, c’est encore du taquinage ? — Non, admet Shakira, là ça ressemble plus à du harcèlement. » La principale intéressée réussit à se relever : « C’est pas du taquinage, ce qu’il a fait, là ! Il a voulu m’étrangler, il m’a touché les seins, il a troué mon jean. » Entendant cette mise en accusation, Yacouba se jette sur elle derechef et reprend sa strangulation : « Monsieur, maintenant, elle vous appartient. » Mais un colosse qui n’a pas participé à la discussion jusque-là surgit et, soulevant Yacouba par la tête, commence à faire l’hélicoptère avec : « Tu frappes une meuf devant un Monsieur ? T’es pas bien ou quoi ? » Philosophe, Djeri me glisse son commentaire distancié : « Veuillez ne pas faire attention à leur comportement inapproprié et inadmissible. Ce sont des petits perturbateurs du 9-3. »
Que dois-je faire ? Cette question introduit à la morale et au droit. Le devoir désigne l’obligation à l’égard de ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Il se réfère au Bien (morale) ou à la Loi (droit), suppose une règle et s’adresse à…
Dans un court essai documenté et pertinent, le sociologue Camille Peugny invite à repenser notre conception politique, et philosophique, …
Notre époque, qui adore tant la jeunesse, oublie parfois que celle-ci débute par un âge peu adorable : l’âge ingrat.
La série Squid Game, très populaire dans les cours de récré, inquiète de nombreux parents. Les images violentes pourraient-elles avoir une…
Le succès des idéologies collapsologues et antispécistes au sein de la jeunesse posent une question : la nouvelle génération aurait-elle…
Dans son dernier spectacle théâtral et musical, “Le Violon du fou”, Louise Lévêque aborde l’adolescence. Elle explore cette transition où…
Les banlieues s’échauffent en même temps que les universités. Est-ce une coïncidence ? Ou la jeunesse est-elle en proie à une crise qui transcende les clivages de territoires, de classes et d’âges ? Deux philosophes sondent les causes…
Le théâtre, meilleure cure de Jouvence à la “falsification” et à la marchandisation du monde ? C'est le pari d’Olivier Py, dans Ma jeunesse…