En librairie : “Éloge de la haie”, de Sonia Feertchak
Elles piquent, font parfois peur et n’ont pas la majesté des grands arbres. Pourtant, les haies sont essentielles à nos campagnes. Réserves écologiques, elles drainent aussi un imaginaire poétique et politique dont nous avons grand besoin. L’essai de Sonia Feertchak Éloge de la haie. Pour un désordre végétal, que Philosophie magazine Éditeur a la joie de publier, explique en profondeur pourquoi. À retrouver en librairie à partir du vendredi 16 février 2024 !
Le mouton, la coccinelle et le lichen
« Ce qu’il y a de vertigineux dans la haie, ce sont les questions d’échelles. Et la possibilité de passer de l’une à l’autre. Je m’explique. Pour un mouton, la haie est un mur qui l’arrête, une structure qui le protège des intempéries, un garde-manger. Le mouton ne peut pas dépasser la haie, elle représente pour lui une limite physique. Pour une coccinelle, la même haie est un pays où se réfugier, s’installer, se nourrir, procréer. La coccinelle entre dans la haie. Pour elle, les limites de celle-ci ne sont pas des barrières. Non seulement ce sont d’autres limites, mais des limites d’une autre nature que celles du mouton. Pour un lichen, cette dentelle de l’hiver, mi-algue, mi-champignon, la haie est encore autre chose : un havre propice à la symbiose, un milieu où trouver humidité, ombre et branches sur lesquelles prospérer. Le lichen colonise la haie. Pour lui, les limites de la haie coïncident probablement – j’extrapole – avec les limites possibles à son expansion. “Pour qui avait la patience de regarder autour de soi, l’exotisme se trouvait partout. Le moindre cours d’eau ressemblait aux chutes d’Iguazu, la moindre rencontre aurait rempli un roman : question d’échelle” : Gaspard Koenig aussi élargit le champ dans Humus (p. 53) – on n’est pas loin.
Ces différences de perception signifieraient-elles que la haie n’a pas de limites ? Et quelle définition donner à ce mot ? Gilles Deleuze, lui, prend l’exemple de la forêt – on n’est pas loin, non plus, de la haie. Parce que la lisière d’une forêt est difficile à déterminer et, plus encore, son contour à tracer, le philosophe oppose la “limite contour” (“vous ne pouvez pas assigner le moment précis où ce n’est plus la forêt”) à “la limite de l’action de la forêt” qu’il appelle “limite dynamique”, celle “au-delà de laquelle la forêt n’a plus de puissance, elle ne peut plus mordre sur le terrain. La chose n’a pas d’autre limite que la limite de sa puissance ou de son action. La chose est donc puissance et non pas forme. La forêt ne se définit pas par une forme, elle se définit par une puissance : puissance de faire pousser des arbres jusqu’au moment où elle ne peut plus” (in : “Sur Spinoza”, cours du 17 février 1981). On peut dire la même chose de la haie.
Les différentes échelles par lesquelles appréhender l’écosystème bocager, et les “manières d’y être vivant” (pour paraphraser Morizot), font ressentir que les limites d’un même objet (la haie) ne sont pas les mêmes selon les sujets concernés (l’humain, le mouton, la coccinelle, le lichen). Imposées et coercitives, les limites “dures” font souffrir (la batterie d’élevage, la prison, le barbelé). Mais nous avons tous besoin de limites “douces”, nécessaires et bienvenues, qu’il s’agisse de barrières physiques ou psychiques. Les “barrières physiques” sont des éléments visibles contre lesquels se poser, se reposer, se protéger : le lis de Malabar s’élève le long du magnolia qui lui sert de tuteur ; je fixe un nichoir à un tronc ; par gros temps, le mouton s’abrite sous la haie. Les “barrières psychiques” sont des limites invisibles, individuelles ou collectives, à ne pas dépasser. »

Éloge de la haie. Pour un désordre végétal,de Sonia Feertchak, vient de paraître chez Philosophie magazine Éditeur. 160 p., 19,50€, disponible ici.
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