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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Douce à cuire

Ariane Nicolas publié le 23 février 2024 4 min

« “Salut ma douce, tu sais ce que tu veux commander ?” Je ne pensais pas qu’en allant chercher un burger à midi, emmitouflée dans une doudoune sans éclat, j’allais faire l’objet d’une remarque sexiste lunaire – et m’engager conséquemment dans une étude anthropologique miniature afin d’en retirer autre chose qu’un accès d’énervement.

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Alors comme ça, je suis une “douce” à ses yeux. Plus encore, je suis “sa” douce. Déjà à “lui”, alors qu’on ne se connaît pas. Lui, c’est un homme d’une trentaine d’années, T-shirt large à logo ironique, barbe taillée par un professionnel, la démarche vive et assurée. Comment, dans ce temple de la branchitude qu’est l’établissement d’inspiration brooklynienne où j’allais me restaurer, un jeune homme, en 2024, sept ans après #MeToo, mais aussi après les articles féministes qui s’affichent certainement sur son fil Instagram, et sans doute de nombreuses conversations avec ses amies sur les relations femmes-hommes, comment cet homme – pas un papy gâteux, mais un quasi-homologue social – pouvait-il se permettre de s’adresser à une inconnue en lui disant : “Ma douce” ? Deux semaines plus tard, je n’en reviens toujours pas.

Il a pourtant fallu répondre quelque chose, et fissa. Dans ces cas d’agression, que l’on a du mal à qualifier comme tels, et certainement pas en temps réel devant l’agresseur, le cerveau reptilien semble prendre le dessus. Est-ce que si je dis quelque chose, je vais me prendre une beigne – ou pire ? En présence des clients, c’était peu probable. Est-ce qu’une blague me vient, pour faire passer la pommade, ou est-ce que j’y vais plus franchement ? Trop désarçonnée par la désuétude de la formule, je ne trouvais rien à répondre de drôle. En l’espace d’une seconde et demie, mes neurones ont finalement adopté une étonnante stratégie : répéter la formule, trois fois. D’abord parce que j’étais incapable de trouver mieux, mais aussi, probablement, pour la faire bien entendre auprès de l’homme qui l’avait émise en premier.

Après avoir éructé son adresse à ma personne, l’homme passe donc devant moi, se positionne à ma droite, près du terminal d’encaissement. Je le fixe du regard et lance, sans presque m’en apercevoir : “Ma douce ?” Petit temps d’arrêt, il me dévisage furtivement, se demande sans doute ce qui se passe, peu inquiet. Je réitère : “Ma douce ?” Là, il se fige. Quelque chose advient, on glisse vers l’inconnu, la gêne, le vortex social. Ses yeux clignotent, qu’il achemine lentement vers les miens, restés impassibles même si à l’intérieur, je bous. Nos pupilles se tiennent désormais. Troisième fois, toujours calme : “Ma douce ?” Le coup de grâce. L’homme marmonne : “Euh… désolé, je ne voulais pas… Euh… Vraiment…” Vainqueuse modeste, je hoche de la tête et concède : “C’est OK, ça va. Un cheeseburger avec supplément bacon, s’il vous plaît.”

Que peut-on opposer à la violence ? Se demande-t-on dans notre dossier du mois, actuellement en kiosque. Avec la réplique physique et le recours à la loi, la parole fait partie des trois grandes réponses identifiées par mon collègue Martin Legros dans son article. Si la philosophie a tendance à valoriser la parole rationnelle, c’est-à-dire le recours à l’argumentation pour tenter de ramener la personne violente dans le champ de la légalité et de la discussion apaisée, je constate, grâce à ma mésaventure – vexante quoique sans grosse gravité – que d’autres parades verbales peuvent fonctionner. En l’occurrence, le fait de ne pas avoir argumenté a peut-être été plus redoutable : je m’en suis tenue à la parole de l’agresseur et je l’ai mis devant ses propres mots, en le laissant patauger dans son inconsistance.

Plus que la philosophie, je pense que c’est la psychanalyse qui m’a ici guidée. Je me souviens, quand j’étais en analyse avec une praticienne lacanienne, qu’elle me coupait souvent et me disait : “Vous entendez ce que vous dites ?” Je m’arrêtais alors et tentais de regarder mes mots sous un autre jour. Parfois, je n’y trouvais rien ; parfois, j’y décelais un lapsus que je m’amusais à déchiffrer ; parfois, je tombais sur un os que je passais plusieurs séances à ronger. “Ce qui est dit n’est pas ailleurs que dans ce qui s’entend. C’est ça, la parole”, affirme Lacan dans son Séminaire, au Livre XIX (“Ou pire”). Je lis cette phrase comme une invitation non pas à reformuler ce que l’on dit, comme si notre intellect avait pour tâche de mettre au jour un sens caché, façon explication de texte, mais parfois, à mieux écouter ce que l’on dit déjà.

Cette attention portée à la parole littérale ne vaut pas que pour l’écoute des autres. Elle commence par soi. Ainsi, en écoutant nos paroles résonner en nous, pouvons-nous mieux raisonner – au risque d’un évident jeu de mots, les lacaniens apprécieront ! »

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