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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Akram Huseyn/Unsplash

Vie quotidienne

D’où vient la phobie administrative ?

Clara Degiovanni publié le 19 mai 2023 4 min

Avez-vous fait votre déclaration d’impôts ? Si cela vous inquiète ou vous panique, peut-être que vous souffrez, comme près d’un Français sur trois, d’une phobie administrative. Examinons les racines de ce mal fort répandu.

Une peur de l’accumulation des corvées

« La mention des déboires administratifs parmi les motifs justifiant le suicide, me paraît la chose la plus profonde qu’ait dite Hamlet », écrit Emil Cioran dans ses Syllogismes de l’amertume (1952). Dans Hamlet, le héros shakespearien se plaint en effet avec force et lyrisme, des « retards de la loi » et de « l’insolence du pouvoir ». Qui, demande-t-il, « voudrait porter ces fardeaux, grogner et suer sous une vie accablante ? » Cet accablement profond s’associe en l’occurrence à tout un ensemble de corvées et de maux qui peuvent parfois rendre la vie impossible. Si l’on craint d’avoir affaire à l’administration, c’est d’abord parce qu’elle est associée à une routine particulièrement intenable. La manière dont elle est incrustée dans le tissu de la vie quotidienne, un peu comme le ménage, ou certaines tâches professionnelles particulièrement pénibles, contribue à la rendre invivable. Si l’on déteste s’occuper des papiers administratifs, ce n’est pas tant pour ce qu’ils sont que pour ce qu’ils représentent : une corvée sisyphéenne parmi d’autres, qui engloutit notre temps libre et submerge la vie ordinaire. Quand ils s’accumulent, ils viennent alourdir ce que l’autrice de bande dessinée Emma a appelé la « charge mentale » : l’ensemble des choses à faire et auxquelles on doit penser. Moins on les fait, moins on a envie de les faire. Elles prennent alors de la place autant dans la tête que sur le coin de notre bureau.

Une crainte liée à la figure du fonctionnaire

Cette crainte ne date pas d’hier. Elle trouve une de ses sources d’inspiration dans la figure du fonctionnaire d’État, à qui l’on reproche souvent la lenteur et l’impuissance face à une machine bureaucratique qui le dépasse. Dans son cours sur Les Anormaux (1974-75), Michel Foucault voit dans l’administration en général une figure du « grotesque », incarnée par ce que l’on appelait au XIXe siècle les « ronds-de-cuir », en référence au coussin circulaire que les fonctionnaires mettaient sous leur siège, afin de le rendre plus confortable. Le sobriquet est, selon le philosophe, une manière dévalorisante de désigner l’agent administratif « nul, imbécile, pelliculaire, ridicule, râpé, pauvre, impuissant », qui complique les choses et met de la mauvaise volonté dans chacune des démarches. Selon Foucault, ce type de fonctionnaire incompétent est consubstantiel à l’existence du pouvoir. Il a marqué la bureaucratie moderne, mais existait déjà pendant l’Empire romain. On peut le retrouver encore aujourd’hui dans le film d’animation Les Douze Travaux d’Astérix (1976), avec des employés de bureau qui « ne peuvent rien faire » sans « le formulaire bleu » que l’on obtient en allant « au guichet numéro 1 » et qui permettra peut-être en bout de course d’obtenir « le laissez-passer A38 » réclamé par les héros Astérix et Obélix. Si cette image est caricaturale, elle fait néanmoins écho à une expérience commune de l’inutile complexité de certaines démarches. Se confronter à de l’administratif, c’est renouer avec la crainte de se retrouver trimballé de guichet fermé en personnel incompétent, sans avoir résolu le problème de départ, voire en l’ayant aggravé avec de nouvelles démarches à réaliser.

Une inquiétude numérique

Mais ces fonctionnaires des Douze Travaux d’Astérix avaient le mérite d’être humains. Si la numérisation de l’administration a pu faciliter certaines démarches, elle a aussi eu pour effet de déshumaniser les rapports entre les citoyens et l’État. Lorsqu’on remplit un document, on peut désormais être sous l’impression de ne pas avoir droit à l’erreur, car on n’aura plus la possibilité de contacter un individu en chair et en os pour comprendre ou résoudre un problème, une difficulté dans l’utilisation du service numérique. Dans son essai sur Le Rire (1900), Henri Bergson explique qu’un règlement administratif totalement automatisé risque de s’appliquer de manière ridicule et « inconsciente », « avec une fatalité inexorable ». La moindre case mal cochée, la plus petite erreur de compréhension peut avoir des conséquences dramatiques : perdre sa bourse ou ses aides, par exemple. Certes, le fameux « droit à l’erreur » permet parfois – notamment pour les impôts – de corriger sans conséquences les fautes d’inattention. Mais il ne parvient pas à soulager l’impression désagréable d’avoir parfois affaire à une machine sans âme et sans aucune souplesse. Une machine, qui, en prime, a aujourd’hui le culot de nous faire faire passer des tests « captcha » pour déterminer si c’est nous qui sommes des robots…

Une angoisse existentielle

La phobie administrative peut venir d’une angoisse plus profonde : celle d’être réduit à une identité purement administrative. Remplir un document, c’est parfois se retrouver à devoir se décrire, en des termes que nous n’avons pas choisis : pour certains, ce sera « homme » ou « femme », mais aussi « parent isolé », « divorcé » ou « retraité ». Celui qui obéit aux directives bureaucratiques n’a pas le loisir d’indiquer ce qui lui tient à cœur et qui constitue « ses bonnes fortunes », explique Jankélévitch, car « cela n’intéresse pas l’administration ». En matière de paperasse, personne ne veut s’intéresse à vos passions existentielles, ni connaître vraiment ceux « que vous avez aimés […]. Et pourtant c’est la chose la plus importante du monde ! », s’exclame le philosophe. À l’inverse de notre identité narrative – celle que l’on peut détailler à autrui et dont on peut maîtriser les contours – notre identité administrative nous échappe complètement. Si l’on craint les papiers qui s’entassent désespérément sur le coin de notre bureau, c’est donc peut être aussi, tout simplement parce que l’on se sent un peu à l’étroit dans les cases.

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