Depuis sa prison, Navalny cite Kant et Orwell
« Trois choses ne cessent de m’étonner. Le ciel étoilé au-dessus de nos têtes, l’impératif catégorique au-dedans de nous et l’impression merveilleuse de passer sa paume sur son crâne fraîchement rasé. »
C’est en parodiant Emmanuel Kant qu’Alexeï Navalny publie son premier post Instagram depuis qu’il se trouve dans la colonie pénitentiaire de Pokrov, près de Vladimir, à une centaine de kilomètres de Moscou. Il s’y trouve depuis fin février, et doit y purger une peine de deux ans et demi de prison.
Dans ce bref message, l’opposant à Vladimir Poutine cite également Orwell. Au fond, quel message veut-il envoyer à ses soutiens ? Décryptage.
Une position de principe
Kant écrivait dans La Critique de la raison pratique : « Deux choses remplissent le cœur d'une admiration et d'une vénération toujours nouvelles […] : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. » L’harmonie du cosmos, Navalny ne doit désormais en jouir que dans l’espace restreint de la colonie pénitentiaire dans laquelle il est détenu.
Mais si Navalny fait référence à « l’impératif catégorique », c’est qu’il revendique une morale fondée sur le devoir. L’opposant à Poutine a failli mourir, empoisonné par les services secrets russes, le FSB. Il savait parfaitement qu’après avoir été soigné en Allemagne, s’il revenait en Russie, le FSB et Vladimir Poutine ne le laisseraient pas en liberté. Il a pourtant décidé de retourner dans son pays. Il en paie aujourd’hui le prix en purgeant deux ans et demi de prison – et en risquant énormément, tant l’impunité règne dans le système carcéral russe.
Navalny, en citant Kant, veut se distinguer des hommes politiques qui calculent leurs risques. Il défend une position de principe contre l’État russe.
« L’éducation par la déshumanisation »
Navalny décrit ensuite le « Secteur de contrôle renforcé » dans lequel il se trouve. Il avoue qu’il ne s’attendait pas à trouver « un vrai camp de concentration à 100 km de Moscou ». Un camp de concentration d’aujourd’hui : « aucune violence », car « les méthodes ont changé ».
Mais ce « camp de concentration amical », en interdisant par exemple strictement toute parole grossière, exerce un contrôle permanent. « Les caméras vidéo sont partout » et « la plus petite violation des règles génère un rapport » : « J’ai l’impression que là-haut [au Kremlin, on] a lu 1984 d’Orwell et a dit : “Oh ! génial ! Faisons pareil !” L’éducation par la déshumanisation. »
Le piège pour broyer Navalny
Avec ce message, Alexeï Navalny montre qu’il est pleinement conscient du piège que lui tend le Kremlin. Hors de question de l’empoisonner à nouveau ou de le maltraiter – du moins dans les premiers temps. La manœuvre serait trop grossière.
Mais briser la volonté et le moral du détenu en le surveillant en permanence, en exerçant sur lui une discipline de tous les instants pour contrôler le moindre de ses gestes, l’entourer d’un environnement glacial et sans humanité, voici la méthode « orwellienne » choisie par les autorités pour, comme on dit en Russie, le « casser ».
Navlany termine son bref message en racontant que la nuit, à toutes les heures, un homme le réveille et le filme pour vérifier… qu’il ne s’est pas enfui. Une torture psychologique qui, sans doute, ne fait que commencer.
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