Delphine Horvilleur : “Même quand une personne n’est plus là, il est possible de poursuivre une conversation”

Le contexte de la pandémie remet-il la maladie et la mort dans notre quotidien ?

Delphine Horvilleur : Nous avons surtout pris conscience que la mort, qu’on avait pourtant pris soin de bien cacher ou d’enfermer dans une sphère privée, n’était jamais sortie de nos vies. La crise que nous traversons nous oblige à reconsidérer notre vulnérabilité et nous rappelle que la vie et la mort se tiennent côte à côte. Je me promène souvent dans les rues de Paris et je suis sensible à toutes ces plaques qui disent que dans cet immeuble est morte telle ou telle personnalité. Nous habitons tous, d’une manière ou d’une autre, des lieux hantés : hantés par nos histoires, par nos angoisses, par la disparition des nôtres et des éléments irrésolus dans nos filiations... Nous sommes à un moment où les fantômes sont un peu plus visibles ou audibles, à la fois personnellement et collectivement. Et nous aurions tort de ne pas les écouter.

Vous racontez dans votre livre que vous vous êtes mise à prier la première fois quand vous avez cru mourir. Votre rapport à la mort a-t-il été décisif dans votre vocation religieuse ?

Ma famille est très fortement ancrée dans la tradition juive mais la tradition et la pensée juives, à la différence de la religiosité chrétienne par exemple, est peu ancrée dans l’expression de la foi. Les Juifs parlent rarement de Dieu, ce qui est difficile à comprendre dans une culture à majorité chrétienne : nous étions pratiquants et traditionalistes, la culture religieuse était très présente, mais nous ne parlions pas de foi. Or la rencontre avec l’angoisse de la mort quand j’étais une jeune enfant m’a propulsé dans un questionnement spirituel sur l’existence du divin et sur la prière. C’était une étincelle, une amorce qui a sans doute quelque chose à voir avec le rabbin que je suis devenue et avec ma façon d’appréhender la question de la mort dans mon travail.