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© Timothy Dykes/Unsplash

Reprendre langue

De quoi(coubeh) “quoicoubeh” est-il le nom ?

Samuel Lacroix publié le 10 février 2023 4 min

Si vous avez des ados à la maison, vous les avez sûrement entendus prononcer cette drôle d’interjection ces derniers temps : « Quoicoubeh ! » Un mot qui ne signifie rien de particulier et se suffit à lui-même pour piéger la personne à qui il est adressé. D’où vient-il et que nous apprend-il sur le langage ? Tentative de caractérisation avec le soutien de Ludwig Wittgenstein.


 

*La scène, filmée, se déroule dans un collège, quelque part en France*

L’élève. — Madame, Madame, vous avez entendu parler du [inaudible] ?

L’enseignante. — Du quoi ?

L’élève. — Quoicoubeh !

*Hilarité générale de la classe. La professeure reste interdite*

 

Ce genre de situations déconcertantes s’est multipliée ces dernières semaines. À l’origine du mal, semble-t-il, il y a l’application de partage de vidéos TikTok. Sur le réseau social chinois en effet, les vidéos de ce type, dans lesquelles des personnes se filment en train de rétorquer « Quoicoubeh ! » à quelqu’un qui vient de leur demander « quoi ? », cumulent des millions de vues, et le mot-clé #quoicoubeh fait partie des plus populaires. Tout aurait commencé avec le tiktokeur aux 215 000 abonnés Camskolavache, inventeur de ces onomatopées-répliques – « quoicoubeh ! » pour répondre à un « quoi ? », mais aussi « apanyae » pour répondre à un « hein ? ».

 

Rire de l’incompréhension d’autrui

Quoicoubeh est donc d’abord le nom d’un défi. Le mot ne veut rien dire. Il ne signifie pas autre chose que la volonté de piéger son interlocuteur devant des témoins avertis qui se délecteront de son incompréhension. Il est le mot de ce qu’on pourrait appeler une private joke, un délire privé, exclusif et excluant. Les personnes qui sont sur TikTok et qui ont eu accès aux nombreuses vidéos où d’autres relèvent le défi de piéger leurs professeurs, leurs parents ou leurs voisins, ont une connaissance du phénomène que leurs interlocuteurs n’ont pas.

Cela fait une réelle différence avec un autre jeu de réplique de ce type qui est le « feur » répondu à un « quoi ? », dont on avait l’habitude : tout le monde était à même de comprendre qu’on obtenait ainsi le mot « coiffeur », alors qu’ici, avec quoicoubeh, nous n’obtenons rien d’autre que la perplexité de l’interlocuteur pour qui ce mot n’est qu’un néologisme farfelu, un hapax.

 

Un langage privé ?

En créant ainsi un mot absolument dénué de signification et ignoré par une large partie de la population, les jeunes adeptes de calembredaines tiktokiennes auraient-ils créé ce que le logicien Ludwig Wittgenstein appelait un « langage privé » ? Concept fondamental de sa philosophie, Wittgenstein le définissait comme un langage qui ne serait parlé et compris que par une seule personne, ce qu’il jugeait comme une impossibilité logique. À ses yeux, comme il le développe dans ses Recherches philosophiques (publiées à titre posthume en 1953), le langage est en effet essentiellement public. Il est quelque chose de partagé, qui fonctionne comme un vaste jeu avec ses règles propres, que nous intégrons, et qui évoluent au gré des usages et des coutumes.

“J’appellerai aussi ‘jeu de langage’ l’ensemble formé par le langage et les activités avec lesquelles il est entrelacé”
Ludwig Wittgenstein

 

Cette dynamique foncièrement évolutive de ce Jeu se fait justement par le biais d’un entrelacement de multiples « jeux de langage » : « J’appellerai aussi “jeu de langage” l’ensemble formé par le langage et les activités avec lesquelles il est entrelacé », expliquait Wittgenstein. Ces activités, ce sont celles par lesquelles nous faisons quelque chose des mots, comme les crier pour donner un ordre, les tordre pour faire rire, les répéter pour créer des comptines… ou les inventer pour telle ou telle raison.

 

Une nouvelle carte

Ainsi la vie langagière n’est-elle faite que de déplacements et d’évolutions, et nécessite sans cesse des mises à jour, des apprentissages ou « dressages ». Le sens des mots, dans cette perspective, ne dépend pas d’objets réels auxquels ils renverraient mais de leur usage concret dans un contexte donné. « La signification d’un mot est son emploi dans le langage », et rien d’autre, insiste Wittgenstein. De nouvelles cartes apparaissent régulièrement au sein du jeu langagier et sont soit rejetées soit acceptées par les utilisateurs.

À cet égard, peu importe que les mots ne veuillent rien dire, pourvu qu’ils soient employés par des personnes qui comprennent sa signification sociale et contextuelle. En l’occurrence, on voit d’ailleurs que si notre ami Camskolavache a bien inventé les mots « quoicoubeh » ou « apanyae », ses followers ont tout de même bien compris, par-delà une définition qu’on leur accolerait, comment on les utilisait.

 

Du privé au privatif

Mais, de fait, alors même que le langage est par essence public, on voit bien que l’usage du mot « quoicoubeh » est tout de même explicitement destiné à certains happy few qui en ont seuls la connaissance et qui jouent, littéralement, entre eux. S’il n’est pas privé, ce langage est ainsi à tout le moins privatif. Il est le moyen pour une génération de s’affirmer par rapport à une autre.

Par le processus de dressage qu’implique tout langage, on pourrait penser que l’adulte qui aura été piégé par un « quoicoubeh » finira malgré tout par comprendre de quoi ce drôle de mot est le nom, et donc par lui attribuer une signification. Toute la question est maintenant de savoir si le mot se maintiendra une fois que tout le monde aura compris de quoi il retourne. Son incompréhension n’est-elle pas sa première raison d’être ?

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