De l’art de tirer un (bon) coup

« “Franchement, je crois que je suis plutôt un bon coup”, se vantait un ami l’autre jour, en vidant d’un trait son verre de vin. Plutôt impressionnée par son assurance, je lui demandais comment il pouvait en être aussi sûr : “Tu as fait un sondage auprès de tous tes anciens amants ? Tu leur as transmis un petit questionnaire de satisfaction ?” Le temps de remplir à nouveau son verre, il précise : “Ben, soit ils reviennent, soit ils ne rappellent jamais, mais dans ce dernier cas, je me suis aussi ennuyé la première fois.” Le bon coup, est-ce uniquement celui qui vous laisse un goût de reviens-y dans la bouche ? Existe-t-il en soi, indépendamment de certaines circonstances, ou est-il plutôt de l’ordre de l’(heureux) événement ?

En philosophes consciencieux, mon comparse et moi avons tenté de respecter quelques étapes. La première : un effort de définition. Mais quand nous avons essayé de tracer les contours du “bon coup”, nous nous sommes surpris à rejouer un sketch des Inconnus (oui, on commence à se faire vieux par ici), les moustaches et la tenue de camouflage en moins : “Ben, t’as le mauvais coup, il voit un truc qui bouge, il tire, quoi. Et le bon coup, ben, il tire aussi, mais c’est pas pareil.” Nous voilà bien avancés. Si tirer son coup peut être une des modalités du sexe, pas sûre qu’elle soit toujours entièrement satisfaisante.

Plutôt qu’une définition, tentons plutôt de faire la liste des ingrédients qui font un bon coup (liste par définition non exhaustive, à laquelle chacun peut ajouter son petit ingrédient personnel) : le bon coup s’occupe aussi de votre plaisir, et pas en priorité du sien, il vous retourne la tête, les sens et le corps, il est à votre écoute, il n’expédie pas la chose en cinq minutes, et il vous fait jouir, parfois plutôt deux fois qu’une. Nous étions plutôt d’accord là-dessus : le bon coup suppose une certaine performance, que tout ce qui précède devrait normalement vous empêcher de genrer. La performance en question ne repose pas non plus forcément sur un seul organe – et si l’on parle parfois de “compenser”, l’orgasme qui suit n’a rien, lui, d’une compensation ou d’un prix de consolation. La jouissance, toutefois, relève d’un phénomène assez mécanique : quand on connaît bien son corps, on peut y parvenir en quelques minutes à peine – et cela ne fait pas de vos doigts ou de votre sextoy le meilleur coup de votre vie.

Il faut peut-être renoncer à l’ontologie pour envisager le bon coup sous l’angle de la temporalité. Dans Le Phénomène érotique (Grasset, 2003), au paragraphe consacré à l’acte de jouir, Jean-Luc Marion constate que la jouissance ne tient pas uniquement à un mécanisme de cause à effet, mais s’inscrit dans un avant et un après qui lui donnent toute sa substance : “Quand nous retrouvons-nous ? Dans quel temps s’accomplit le phénomène de l’amour ? Et d’abord, s’agit-il encore d’un temps ? Non sans doute, puisque je ne suis plus dans le temps du monde, où ce qui (se) passe ne dure pas, mais dans le temps de la réduction érotique où, rappelons-le, le futur se redéfinit comme le temps de l’attente d’un ailleurs où rien ne (se) passe, le présent comme le temps où l’ailleurs (se) passe et fait le présent de son passage, le passé enfin comme le temps où l’ailleurs a dépassé le moment de son présent.”

Le bon coup relèverait donc d’une forme de projection dans le temps, projection dont les attentes n’ont pas été déçues. Sa temporalité implique une certaine dramaturgie, qui va selon moi jusqu’au café du lendemain. Il n’est pas uniquement question du moment présent, mais du récit qu’on en fera a posteriori : on préfère en général raconter ses bons coups que ses mauvais, qu’on résume d’un “c’était nul”, quand on n’hésite pas à entrer dans les détails les plus crus dans le premier cas. Ce récit est une façon de l’intégrer dans une histoire plus vaste, peut-être une histoire d’amour, peut-être plus simplement celle de notre vie sexuelle. Un autre ami me racontait récemment que, se sentant soudainement manquer d’enthousiasme pour sa compagne de la nuit, il avait fait l’effort de se remémorer quelques-unes de ses “meilleures baises” passées pour faire en sorte que le moment présent ne soit pas totalement raté. Selon lui, ça a marché. Le bon coup a peut-être tout simplement bonne mémoire ! »

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