“D’ailleurs, la révélation”, de Jean-Luc Marion
Penseur sans concession, auteur d’une œuvre parfois très pointue, Jean-Luc Marion n’en est pas moins l’un des philosophes français les plus lus et étudiés à travers le monde. À la fois historien de la philosophie, phénoménologue et théologien, c’est principalement en cette dernière qualité qu’il publie aujourd’hui D’ailleurs, la révélation (Grasset, 2020), même s’il prolonge les analyses qu’il a précédemment menées sur la phénoménologie de la donation. Cet ouvrage dense et exigeant est une exploration de la notion de révélation (avec un “r” minuscule, c’est-à-dire au sens courant et séculier du terme) et surtout celle de Révélation (avec une majuscule, autrement dit au sens religieux), qui apparaît comme un défi lancé à une conception qu’il juge étriquée et auto-satisfaite de la rationalité.
- L’expérience de la révélation. L’ouvrage débute par l’analyse du concept de révélation, dans son sens a priori non religieux. S’appuyant sur des exemples tirés du domaine de la littérature, du sport ou de l’expérience amoureuse et érotique, il souligne d’emblée que la révélation échappe à toute volonté et à toute maîtrise. Elle vient toujours « d’ailleurs » elle nous saisit et nous surprend. Pourquoi, subitement, parvenons-nous à accomplir un geste que nous échouions à faire jusqu’alors ? Que signifie ce moment inoubliable où un monde nouveau s’ouvre à nous ? Dans la révélation, nous n’avons pas l’initiative même si c’est à nous qu’elle se montre et si c’est nous qu’elle bouleverse. Vivre une révélation, c’est ainsi vivre une expérience de dessaisissement dans ce que Jean-Luc Marion appelle la triple dimension de la révélation : « La révélation du phénomène par lui-même, la révélation de moi-même à moi-même […], et enfin la révélation à d’autres de celui que je suis devenu d’ailleurs. »
- Le « témoin » et la « résistance ». La révélation se distingue d’une construction de concepts, de l’élaboration d’un savoir, ou même de toute transmission d’informations : ce qui se révèle est incommensurable à ce qu’on savait ou à ce qu’on comprenait jusqu’alors. C’est pourquoi elle appelle ce que Jean-Luc Marion appelle des « témoins », qui pourront éventuellement raconter ce qu’ils ont vu ou entendu, même s’ils ne peuvent pourront pas l’expliquer. Ces témoins pourront d’ailleurs rechigner à accorder quelque crédit que ce soit à l’expérience qu’ils ont vécue : c’est la « résistance » légitimement éprouvée devant un paradoxe qui pousse la logique dans ses retranchements. « La résistance, précise en effet Jean-Luc Marion, provient de ce que nul ne se trouve jamais d’emblée préparé, favorable ou acquis à une Révélation, mais que tout un chacun s’y oppose, en un premier temps du moins, parce qu’elle redéfinit le champ entier de la possibilité. »
- Religion = Révélation ? « Au sens le plus courant, il y a Révélation quand il y a religion et d’autant plus qu’il y a religion ; et il y a religion quand et d’autant plus qu’il y a Révélation », constate Jean-Luc Marion, tout en soulignant qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Il montre en effet que ce n’est que de manière tardive et polémique que le terme de Révélation a été plaqué sur la religion, plus précisément par les philosophes des Lumières au moment où ils ont voulu dégager la spécificité de la science rationnelle en l’opposant à la théologie chrétienne… et mieux disqualifier celle-ci.
- Qu’est-ce qui se montre dans la Révélation ? Reste à préciser de quel type de phénomène la Révélation relève : c’est ce qui retient longuement Jean-Luc Marion dans le reste de l’ouvrage, où il étudie les textes bibliques avec minutie. Il s’arrête notamment sur la manière dont Yahvé s’est montré à Moïse, sans lui donner à voir la moindre forme visible, mais par sa parole, « en se faisant écouter ». Jean-Luc Marion écrit : « Rien de visible n’est découvert, sinon la manifestation même de l’invisible. […] Quand Yahvé se révèle, il n’y a rien à voir, sinon l’invisible comme tel, la parole, où se donne le Nom ». Alors qu’un secret cesse d’en être un aussitôt qu’on le révèle, c’est ainsi au mystère divin, selon Jean-Luc Marion, que cette Révélation conduit.
D’ailleurs, la révélation, par Jean-Luc Marion, vient de paraître chez Grasset. Disponible ici.
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