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Crémation : l’impossible recueillement ?

Ariane Nicolas publié le 05 mai 2023 3 min

Le deuil est une expérience universelle que, pourtant, chacun vit différemment. À l’heure où la crémation est devenue, en France, la pratique funéraire la plus répandue, Ariane Nicolas explique dans son billet du jour pourquoi elle suscite chez elle un surcroît d’émotion.


« Depuis un an, j’ai assisté à trois funérailles. La dernière cérémonie a eu lieu il y a quelques semaines. Le chagrin se dissipe tout juste. Pour la première fois de ma vie, toutefois, je n’ai enterré personne. J’ai dit au revoir à des corps qui devaient être – je ne trouve pas d’autre mot, sa violence m’effraie – brûlés. La crémation suscite chez moi un vertige immense, dont j’aimerais ici clarifier la nature. Car il se trouve peut-être des gens, parmi vous, qui le partagent aussi.

Lorsque des obsèques approchent, je préviens souvent mon entourage : “Attention, je vais être une vraie serpillère.” Pendant, je pleure à grosses gouttes, je gémis, je maudis le ciel, les déserts et les océans, je suis méconnaissable. Dès que quelqu’un au micro verse une larme, mon corps en ressert une louche. La musique me donne envie de me rouler par terre en hurlant, surtout si c’est Schubert ou Dylan. La dernière fois, c’était Dylan. J’essaie de me tenir, car je suis rarement du premier cercle et je crains de “voler émotionnellement la vedette” à qui de droit. Mais c’est parfois trop dur. Serpillère je suis, serpillère je reste.

Je gère mal, très mal, les deuils. Je perds d’autant plus mes moyens, je l’ai constaté récemment, que le corps disposé dans le cercueil sera bientôt réduit en cendres. Cela ne m’attriste pas seulement : cela me fâche, me révolte. J’aimerais parler au défunt, lui suggérer de changer de méthode, ou d’attendre un peu, que mes larmes sèchent, que celles de sa famille s’estompent, attendre que l’on se soit un peu remis de sa disparition avant qu’il ne se dérobe entièrement. Je sais qu’il me faut respecter son choix, que c’est sa dernière volonté, et donc la plus signifiante, respectable, sacrée. Je suis prisonnière de mon angoisse, sommée d’enterrer mon vœu.

La crémation, pratique humaine ancestrale, est aujourd’hui (re)devenue la plus courante. Plus de 60 % des Français la plébiscitent, selon un sondage. Les raisons sont diverses : plus simple à organiser, moins chère, plus pratique qu’une concession… La déstructuration des familles, où il est parfois difficile de savoir auprès de qui l’on souhaiterait être inhumé, joue aussi. Nos parents, dans ce village que nous rêvions de quitter ? notre seconde épouse et sa famille, que nous n’aimions pas exactement ? nos enfants, que l’on ne va quand même pas déranger si tôt avec cette affaire ? “Certains affirment sans honte leur volonté de disparaître, de ne plus occuper de place”, précise l’étude. Dans une société de l’ici-et-maintenant, où “le vivant” est érigé en valeur suprême, le mort ne croit plus avoir droit de cité.

Pour les “très proches”, la crémation permet de conserver les cendres dans une urne. Un recueillement est possible. Le corps, retourné à la poussière dans un processus accéléré mais protégé d’une enveloppe délicate, tient quelque part. L’être demeure un. On peut parler à cette urne, la regarder, la toucher. Mais l’urne reste en général à domicile. Le corps est donc, d’une certaine manière, confisqué, privatisé même. Tandis que, dans un cimetière, n’importe qui peut venir se recueillir, la petite-nièce, la fille des amis, la collègue qui se réjouissait de parler de Dylan et de Proust en buvant du thé, ou même des inconnus curieux de découvrir un nom, un visage, une devise. Un tel recueillement devient inenvisageable après crémation. L’horreur est littérale : ils ne sont plus là.

Lundi, nous commémorerons le 8 mai 1945. Je penserai à mon grand-père, prisonnier des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, qui repose en Creuse, où il est né, auprès de sa femme, ma grand-mère adorée, née elle aussi en Creuse. Je leur avais rendu visite à la Toussaint dernière. Ils ont pu rencontrer mon conjoint, recevoir des nouvelles du monde. Je les remercie de m’avoir ainsi accueillie. J’espère qu’un jour, un être aimé me rendra pareillement visite, et que son cœur s’adoucira de m’imaginer l’écouter en silence. »

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