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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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“La Tentation de Saint Antoine”, par Joos Van Craesbeeck (v. 1605-v. 1660), Huile sur toile, peinte aux environs de 1650 et exposée à la Kunsthalle de Karlsruhe (Allemagne). © Fineart/Opale.photo

Dossier / La sobriété

Comment nous sommes devenus goinfres

Michel Eltchaninoff publié le 21 septembre 2022 14 min

L’appel à ne pas trop consommer ne date pas d’aujourd’hui. La mesure était une vertu cardinale de l’Antiquité. La Modernité, elle, nous a engagés à dépasser toutes les limites et à exploiter le monde. Mais, en son sein, des penseurs ont organisé la résistance à la société d’abondance. Voici l’histoire mouvementée de la tempérance.

 

« Rien de trop. » Cette formule était inscrite au fronton du temple d’Apollon, à Delphes. Son auteur est Solon d’Athènes, l’un des pères de la démocratie grecque. D’autres maximes des Sept Sages antiques appelaient, elles aussi, à la sobriété, comme : « La modération est le plus grand bien » ou « Prudence en toute chose ». La mesure, en grec metron, est l’idéal qui structure la Grèce classique. Elle correspond à la recherche de règles mathématiques démontrables – les pythagoriciens ne supportaient pas, par exemple, de découvrir de l’incommensurable dans la mesure de la diagonale. Cette aspiration à la mesure est essentielle à la pensée grecque : nous devons découvrir, dans le cosmos, le monde et en nous-mêmes, un principe organisateur qui assure l’harmonie et l’équilibre des tendances contradictoires qui agitent les phénomènes, ainsi que notre humanité. Elle est recherchée en astronomie, en musique, en mathématiques, mais aussi dans la beauté de notre corps, que nous devons cultiver, et de notre âme, qui doit refuser de céder à des pulsions déstabilisatrices.

Car si les Grecs ont tant vanté la mesure en toutes choses, c’est également parce qu’ils étaient séduits par la démesure, l’hubris. Philologue et spécialiste de la Grèce antique, Friedrich Nietzsche le montre dans un texte de jeunesse, La Joute chez Homère (1872). Selon lui, ce canon de la mesure qu’incarne la Grèce antique se fonde sur « un caractère cruel » et « un désir sauvage de destruction ». Quand les Hellènes se rendaient à Delphes pour tenter de se purifier de leurs instincts, c’est parce qu’ils étaient tout imprégnés du goût du sang. L’excès est en Achille, en Ajax qui, fou de fureur aux portes de Troie, massacre un troupeau de moutons en croyant assassiner les commandants grecs, sans oublier les beuveries d’Alcibiade, auxquelles participe – tout en restant miraculeusement sobre – Socrate dans Le Banquet de Platon.

 

Le plaisir… avec modération

La philosophie est appelée à la rescousse pour dompter ce caractère naturellement violent, pour lui apprendre la tempérance. Mais chaque penseur a sa solution. Épicure (341-270 av. J.-C.), ancêtre des décroissants d’aujourd’hui, se replie avec une bande d’amis dans un jardin. Là, ils vont apprendre un bon usage des plaisirs. Si les jouissances nécessaires et naturelles sont assumées – manger, boire, se protéger des éléments –, elles doivent être modérées. En effet, puisque la nourriture consiste à recharger un manque d’atomes, « des mets simples donnent un plaisir égal à celui d’un régime somptueux », écrit Épicure dans sa Lettre à Ménécée (lire l’encadré page suivante). Se bâfrer, s’enivrer, se parer de vêtements choisis, plonger dans les affres de la passion, poursuivre sans relâche des rêves ambitieux, mais aussi s’humilier devant les dieux ou se poser trop de questions métaphysiques, nous empêche tout simplement d’être heureux. Ces excès nous minent et nous abîment. Pour atteindre l’ataraxie – l’absence de troubles intérieurs – et l’aponie – l’absence de douleur, la sobriété est l’unique voie.

“Comme le dit Épictète, ‘la fête a une fin’. Il faut savoir s’en retirer “reconnaissant et discret’”

 

Chez les stoïciens, elle prend une allure plus héroïque : entraînons notre esprit et notre corps à ne pas dépendre du monde extérieur, auquel on ne peut de toute manière rien changer. « Vivre conformément à la nature », comme le veut Zénon de Citium (335-264 av. J.-C.), fondateur de ce courant, ne signifie pas, comme chez les épicuriens, jouir entre amis d’un plaisir modéré mais se rendre indifférent à des biens auxquels nous accordons spontanément une valeur positive ou négative : la vie, la santé, le plaisir, la beauté ou, à l’inverse, la mort, la maladie, la pauvreté. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut rien à tout cela, pensent les stoïciens. Ainsi, poursuit Épictète (50-125), esclave à Rome devenu affranchi, la vie de luxe est une vie insensée, car elle encombre notre existence d’une myriade de soucis inutiles : « Ce n’est pas la faim que tu crains, lance-t-il au consommateur fortuné, c’est de n’avoir pas de cuisinier, de pâtissier, de quelqu’un pour te chausser, t’habiller, te frotter, d’autres serviteurs encore pour te suivre au bain. » Il faut s’entraîner à ne pas désirer toujours plus par des exercices physiques et spirituels. La sobriété est ici radicale : puisque le monde va comme il va – il a été créé par le feu et périra par lui –, il n’y a rien d’autre à faire que de rester impassible au cœur de la catastrophe. Comme le dit encore Épictète, « la fête a une fin ». Il faut savoir s’en retirer « reconnaissant et discret ». Les stoïciens accueilleraient la crise écologique avec sérénité.

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Article issu du dossier "La sobriété. Pourquoi est-il si difficile de se modérer ?" septembre 2022 Voir le dossier
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