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© Michel Eltchaninoff

Chose vue

Au secours ! Uber nous fait de la morale !

Michel Eltchaninoff publié le 31 mars 2021 3 min

Voici une affiche aperçue ce matin sur le boulevard de Clichy à Paris. Les start-up, ça ose tout. C’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît. Toutes audacieuses, agiles, innovantes et disruptives qu’elles soient, cela ne les empêche pas de se montrer responsables, respectueuses et même engagées. On est rassuré. Ouvrez votre application Uber. Désormais, pour pouvoir continuer à rentrer chez soi en douce après une soirée entre amis, il faut cliquer sur un bouton noir “Je m’engage”. À donner mon numéro de carte bancaire ? Ça, c’est fait depuis longtemps. Non, à accepter une Charte, avec un grand “C”. Celle-ci fait d’ailleurs l’objet d’une vaste campagne de pub. Sur les affiches, placardées partout, on lit des sentences du genre : “Une insulte liée au physique, c’est révoltant, sur internet comme dans un Uber”, ou celle-ci, donc : “Une agression sexuelle, c’est illégal, lors d’une fête comme dans un Uber”. Ah bon ? Il faut s’engager à “respecter l’ensemble de la Communauté (tiens, encore un grand “C”), passagers comme chauffeurs”, et “soutenir le mouvement ‘Ni dehors, ni à bord’ condamnant tout comportement ou propos inacceptable”.

Trop fort, Uber ! La firme a inventé la manière la plus incroyablement sophistiquée de sortir d’un scandale – celui des agressions sexuelles et des viols commis par ses chauffeurs. Les faits sont hallucinants. En 2018, aux États-Unis, 3 045 agressions sexuelles ont été subies lors d’un trajet en Uber, dont 235 viols. Les plaintes se sont multipliées dans le monde entier, à tel point que le directeur général d’Uber France a été convoqué en décembre dernier par la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes pour s’expliquer. Il a reconnu que “l’accompagnement des victimes n’était pas du tout à la hauteur”. Et a promis un dispositif de reconnaissance faciale pour vérifier si la personne qui conduit la voiture est bien le chauffeur enregistré et non son cousin pervers.

Mais la vraie réponse, c’est cette campagne “Ni dehors, ni à bord”. Elle est diabolique, pour plusieurs raisons. D’abord, elle déculpabilise Uber. Au lieu d’assumer la responsabilité des agressions commises par ses chauffeurs, elle la dissout dans un fait social total. Les agressions sexuelles existent partout, nous dit Uber, dans la société, dans la rue, les maisons, et aussi, bien évidemment, dans les voitures. Celles-ci sont pourtant un lieu propice à ce type d’agissements, car ce sont des endroits clos, dont on peut actionner la fermeture des portières. Ce sont des monades qui peuvent bifurquer à tout moment vers un terrain vague ou un parking. Un VTC est enfin un huis clos entre des inconnus. La campagne suggère d’ailleurs que les agressions ne sont pas seulement le fait des chauffeurs, mais aussi des clients. Si chaque utilisateur doit s’engager à ne pas faire de remarque sexiste, homophobe, raciste, c’est que nous sommes tous des salauds en puissance – et pas uniquement celui qui se trouve au volant. La conception ubérienne de la morale est transactionnelle : vous ne voulez pas vous faire violer ? Promettez de ne pas faire de remarques insultantes.

Cette démarche culpabilisante pour l’utilisateur permet enfin à l’entreprise de ne pas changer de modèle économique – et c’est sans doute, du point de vue de la plateforme, l’essentiel. Le chauffeur n’est pas un employé, mais un auto-entrepreneur. La plateforme met en contact des personnes qui conduisent et des personnes qui veulent aller d’un point à un autre, comme un site de rencontres. Ce qui se passe entre eux n’est pas vraiment, d’un point de vue logique, l’affaire d’Uber. Si la firme acceptait de considérer les chauffeurs comme ses employés, elle devrait sans doute financer leurs quatre millions de véhicules et leur assurer une protection sociale qui ruinerait son fonctionnement (Uber perd à peu près un milliard d’euros par trimestre).

Cette vision de la morale, universalisée, me rappelle la maxime prononcée par le vieux moine Zossima dans Les Frères Karamazov (1880) de Dostoïevski, phrase qui a tant marqué Emmanuel Levinas : “Chacun de nous est coupable devant tous et pour tout, et moi plus que tous les autres.”Je ne suis pourtant pas certain que l’écrivain russe aurait imaginé que cette attitude puisse un jour être proposée par une entreprise essayant de noyer la culpabilité de certains de ses employés (et surtout la sienne) dans une responsabilité générale. La marque Uber a été inventée en référence au Übermensch, au surhomme de Nietzsche. Mais de là à nous prendre pour des sous-hommes…

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