Alter échos

Manon Frantz : “La boxe est un échange”

28 ans / championne de France 2016 et 2017 de boxe thaïlandaise

« Après des années adolescentes passées à faire la fête de façon très intense, j’ai décidé de reprendre le sport. J’ai choisi la boxe thaïlandaise, un sport dur qui compenserait par un autre extrême les extrêmes de ma vie précédente. Je voulais une opposition frontale, sans échappatoire. Sur un ring de boxe, on ne sait jamais ce qui va se passer, la technique ne suffit pas, il faut aller puiser en soi des ressources inconnues. Si le but est de mettre l’adversaire KO, j’ai vite appris qu’en réalité, l’adversaire est soi-même.

Mon adversaire n’est jamais une ennemie. Je veux la battre mais je gagnerai sur moi plus que contre elle. D’une certaine façon, je lui suis reconnaissante d’exister pour me permettre de me dépasser. Elle est là pour moi, plus elle résiste, plus je vais loin en moi. D’ailleurs, les boxeurs de compétition sont généralement les êtres les moins agressifs qui soient dans la vie. Dans les conflits, ils la jouent plutôt diplomates, ou bien ils donnent aux autres de l’énergie : allez, la prochaine fois, tu peux gagner le combat !

Il m’a tout de même fallu accepter de faire mal. Cette peur m’empêchait de porter mes coups. Or, si je voulais m’améliorer, il fallait non seulement que je fasse mal mais que j’en aie envie ! J’ai travaillé sur mon agressivité et sur ma propre souffrance. Car la boxe est un sport très exigeant, l’entraînement est dur, avec un régime alimentaire très strict, et on prend des coups, beaucoup, qui font mal. Le lendemain d’un combat, je ne parviens pas à poser les deux pieds par terre, et que de fois suis-je arrivée au boulot le lundi matin avec les yeux au beurre noir ! Alors, avoir envie à son tour de faire mal à l’autre est une manière de justifier cette souffrance. La faille de l’autre – par exemple si l’on voit dans son regard qu’un coup l’a ébranlé – doit nous donner l’énergie de foncer dedans !

Dans la boxe thaïlandaise, on est presque à nu sur le ring : on combat pieds nus, avec les quatre membres, y compris les coudes et les genoux dont les coups peuvent être les pires. Il y a aussi beaucoup de corps à corps. C’est dire que tout le corps est investi. Et pourtant, je vois la boxe comme un échange. En Thaïlande (plus rarement en France), les combats sont accompagnés de danses et de musique : des musiciens sont au pied du ring et rythment la rencontre. La musique est d’abord lente – on se jauge, on se tâte, on teste comment l’autre boxe –, puis elle devient de plus en plus rapide, entêtante, au fur et à mesure que les boxeurs se lâchent, comme dans une conversation où l’on se met à parler, parler, parler… Le combat est beau lorsque les boxeurs conversent bien.

La boxe a changé ma relation au monde. J’ai pris confiance en moi, je suis plus active, je vais au-devant des autres. Ça m’a permis de grandir, de trouver ma place dans le monde. À présent, je suis bien ancrée dans le sol et je suis très à l’aise dans mon corps. Mon entourage me trouve parfois trop baraquée, trop sèche, mais moi, je vois mon corps comme un outil de travail que je suis capable de façonner. Le poids du regard des autres, qui pèse souvent sur les femmes, n’a plus de prise sur moi. Certaines apprennent les sports de combat dans un objectif de self-défense. Ce ne fut pas mon cas mais le fait est : je sais me défendre si je suis agressée. Je me sens forte face au monde, il ne peut rien m’arriver dont je ne triompherai pas. C’est cela, la confiance. »