Entretien

Abdelwahab Meddeb : “L’Islam majoritaire est figé dans des réponses obsolètes”

Nicolas Truong publié le 6 min

Face à un dogme musulman rétif à un Occident hypermoderne et arrogant, l’écrivain et poète tunisien Abdelwahab Meddeb prône la transculturalité. Seul moyen, à ses yeux, pour que l’islam s’accorde enfin au réel.

 

Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, vous affirmiez que « si le fanatisme fut la maladie du catholicisme, si le nazisme fut la maladie de l’Allemagne, il est sûr que l’intégrisme est la maladie de l’islam ». Islam-Occident : plutôt qu’un choc des cultures, n’assiste-t-on pas au face-à-face de deux civilisations malades ?

Abdelwahab Meddeb : L’état de maladie n’est pas de même gravité. Le problème de l’Occident, ou plutôt de l’Europe, s’apparente à un essoufflement, non pas à un épuisement. La régénérescence est perceptible. Le phénix n’est pas totalement consumé. En Islam, la situation me semble bien plus grave. Avec Mahomet, l’islam s’est déclaré « sceau de la prophétie », dépositaire de la Vérité ultime. Depuis cette rencontre efficiente avec le réel, l’islam s’est enfermé dans une préoccupante fixité, s’imaginant que ce dogme était valable pour l’éternité. Or le temps est cruel et le réel, en perpétuel mouvement. Peut-être faut-il d’ailleurs être musulman soufi pour le percevoir, car le soufisme, en cela proche des sagesses orientales comme le taoïsme, enseigne que le changement est perpétuel. L’islam majoritaire est donc resté figé sur ses réponses obsolètes face à un réel qui a radicalement changé. Je ne retiendrais ici qu’un indice de cette fixité : à partir des XIe et XIIe siècles, la propension à l’encyclopédisme est forte. Les lettrés musulmans commencent à mettre en dictionnaire l’intégralité des savoirs, comme si le rôle de l’intellectuel n’était plus d’inventer mais d’archiver ce qui a été inventé.

 

Quelle est la spécificité actuelle de cette obsolescence islamique ?

Cette fixation dogmatique s’est opérée ces dernières années autour de la technique, cet usage instrumental de la science qui métamorphose l’être et l’âme au plus haut point, comme l’a notamment décrit Heidegger. Pour la civilisation islamique, qui n’a pas connu d’étape intermédiaire entre un Moyen Âge, certes flamboyant, et ce que propose la technologie d’aujourd’hui, le passage à l’hypermodernité est périlleux, voire mortel. L’islam croit rester fidèle à son passé. Or il n’est qu’empêtré dans des solutions figées et s’est même américanisé dans son addiction à la technique mondialisée. Il s’agit là d’une crise incommensurable.

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