Sur les chemins noirs

Une recension de Alexandre Lacroix, publié le

C’est un beau texte, au style aiguisé, où, très étrangement, le présent de vérité a disparu. Tout est rapporté au passé, au conditionnel. Même les théories des géographes et des écrivains, même l’actualité. Cette tonalité rétrospective baigne le récit et sied bien à la nostalgie, à la mélancolie qui s’y installent lentement. Car la noirceur monte, au fur et à mesure que l’on suit le narrateur Sylvain Tesson, la colonne vertébrale rafistolée par des clous après sa chute d’un toit, crapahutant à travers la France. Le pays, il le parcourt du Mercantour à la pointe du Cotentin, perclus de douleurs ; dans les monts du Cantal, il a une crise d’épilepsie qu’il compare à la montée d’une « envie de mourir ». Ce cheminement âpre s’accompagne d’un manifeste. Tesson politique ? Il cherche en tout cas à provoquer. Il nous invite à écraser « à coups de talons les écrans livides de nos vies high tech ». Il s’en prend aux réseaux, de toute nature : au Web, aux autoroutes, aux lignes de TGV, autant de rets qui gênent la marche libre et l’accès direct à la saveur des choses. Le haut débit ? « Une solution fort acceptable à condition qu’il se résumât à celui des tonneaux percés d’un coup de hache dans les caves de Bourgogne. » Augmenter la réalité, comme le veulent les geeks ? « Un jour peut-être s’occuperaient-ils d’éclairer le soleil. » Un ami reproche à Tesson d’être gâteux ! Mais lui ne démord pas d’un rêve : celui de former une confrérie des chemins noirs liant ceux qui veulent fuir les modernisations successives. Le clan des objecteurs de smartphone, en somme. Tesson y croit-il ? Sans doute, mais la voie du style l’entraîne déjà plus loin : « Les buis luisaient, cirés de lumière. Les toiles d’araignées cédaient à mon passage, sceaux de virginité du chemin. »

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