Révolution. Une histoire culturelle

Une recension de Jean-Marie Durand, publié le

En dépit de leurs impasses répétées, les révolutions ne s’en laissent pas compter. Leur force tient à ce qu’on ne peut jamais les programmer, puisqu’elles « arrivent toujours inattendues ». Plutôt que de s’en tenir à une position rigide, conduisant à une idéalisation naïve ou à une condamnation intransigeante, Enzo Traverso s’attache à la révolution comme à un pur objet historique – et même comme à un « concept clé d’interprétation de l’histoire moderne ». Assumant l’héritage de Karl Marx et de Walter Benjamin, qui envisageaient la révolution comme une interruption soudaine d’un continuum historique, Traverso traverse l’histoire de la révolution sous l’influence secrète de Max Weber. Dans la mesure où l’étude de la révolution mérite, selon lui, une « compréhension critique », qui contourne la nécessité morale de choisir les bonnes et les mauvaises. Ce qui l’intéresse, c’est de saisir en quoi les révolutions « expriment la respiration de l’histoire ». « Leur propension à susciter des souvenirs lyriques ou des représentations iconiques n’empêche pas le regard critique d’en saisir, au-delà de leurs potentialités libératrices, les hésitations, les ambiguïtés, les impasses et les limites, toutes inhérentes à leur nature plurielle et contradictoire, toutes inséparables de leur intensité ontologique », écrit Traverso. La part émotionnelle de toute révolution l’intéressant au premier chef, il la sonde dans les traces visibles de ses effusions. Pour ce faire, il collecte des fragments intellectuels et matériels d’un passé révolutionnaire éclaté, en accordant la même importance aux sources théoriques, historiographiques et iconographiques (pensées, statues, affiches, chansons, barricades, peintures…). Cet assemblage nourrit le livre d’un feu contagieux, qui, prenant acte de la violence comme dimension de la structure ontologique de toute révolution, n’en porte pas moins une croyance appuyée dans l’idée de la libération elle-même. Ne cédant pas au discours dominant selon lequel vouloir changer le monde revient à construire le totalitarisme, Traverso laisse vibrer en lui, et en nous, la foi dans un basculement libérateur toujours possible, dont la résignation actuelle et le tragique de l’histoire n’ont pas définitivement effacé le désir.

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