Quand le monde s'est fait nombre

Une recension de Antoine Rogé, publié le

Dès les Lumières, les statistiques furent accusées d’être réductrices parce qu’elles rangeaient des existences singulières sous des catégories générales. Ces résistances n’ont pas empêché l’extension de leur empire, jusqu’à l’explosion contemporaine du big data. L’histoire et les causes de cette « nombrification du monde » nous sont contées par Olivier Rey, philosophe et mathématicien. À ses yeux, la démocratisation n’a pas rendu les hommes identiques mais a jeté le trouble dans les rôles sociaux, d’autant mieux brouillés que parallèlement les villes se gonflaient d’une population d’inconnus. La statistique, idéal de l’information chiffrée, est ainsi « ce miroir où se scrute anxieusement la société devenue un mystère pour elle-même », et c’est pourquoi la méfiance qu’elle suscite est toujours mêlée de curiosité. Celle-ci fut très forte chez les écrivains – notamment le Balzac de La Comédie Humaine. Mais la statistique dut surtout son développement à l’État. Il y vit l’instrument pour légitimer l’impôt, qui garantissait le traitement équitable de chacun. La statistique est donc l’enfant caché de l’individualisme, et l’on peut savoir gré à Olivier Rey d’avoir établi cette filiation.

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