Philosophie de la relation

Une recension de Juliette Cerf, publié le

Politique, la pensée d’ Édouard Glissant prend son envol et produit ses effets dans l’univers qui nous entoure. À la mondialisation en marche qui uniformise le monde, l’écrivain martiniquais préfère le mouvement de créolisation, un processus éminemment relationnel, producteur de métissage. De cette créolisation témoigne l’élection du nouveau président des États-Unis, mise en perspective il y a quelques mois dans L’Intraitable Beauté du monde. Adresse à Barack Obama (Galaade), coécrit avec Patrick Chamoiseau. Poète et philosophe, essayiste et romancier, Édouard Glissant, né en 1928, n’a jamais cessé de penser et d’esthétiser le concept transversal de relation, qu’il ressaisit aujourd’hui dans son dernier ouvrage, Philosophie de la relation (Gallimard).

Dans l’espace de la relation s’orchestre une rencontre entre les différences, les contestations, les écarts, les divergences. « J’écris en présence de toutes les langues du monde », chante ainsi le poète, qui n’inscrit pourtant jamais sa parole dans le champ du multiculturalisme. La diversité requise n’est en rien relativiste. Cette coprésence se déploie plutôt vers le « Tout-Monde », un monde chaotique et imprévisible. C’est bien la totalité, la complétude, de notre monde bouillonnant, tressé tout à la fois dans l’unité et la diversité, qui est visée : « la conscience de la diversité du monde, non pas de sa disparité mais de la solidarité de ses différences entre elles ». La totalité n’est pas pour autant universelle au sens de ce qui vaudrait indistinctement pour tous. Le monde est avant tout « présence des fructueuses intimités et des terribles assauts et antagonismes des lieux et des espèces entre eux et dans la totalité ».

Traduite par Glissant en termes de paysages, cette pensée prend la forme non d’une vue générale, aérienne, surplombante (continentale), mais d’une plongée tremblante, inquiète (archipélique), dans les « roches des rivières », dans « les trous d’ombre qu’elles ouvrent et recouvrent ». La croyance dans la pensée et dans la puissance de l’imaginaire innerve chaque page de Philosophie de la relation, dont le lyrisme et la rigueur produisent une équivalence entre poésie et philosophie. Édouard Glissant cisèle une poétique-dialectique originale et subtile, qui clame son droit à l’opacité. Car l’opacité est justement la trace de l’irréductibilité liée aux écarts, aux exceptions, à mille lieues d’un prétendu « absolu » réconciliateur, dont l’unicité impliquerait clarté et transparence. S’adressant aux cultures occidentales, le poète-philosophe n’a qu’un credo, extensif : « Nous pressentons qu’une valeur particulière n’a nul souci de s’étendre en valeur (que vous appelez : “s’universaliser”), elle se rehausse au contraire d’entrer en Relation. »

Lire aussi : L’Intraitable Beauté du monde. Adresse à Barack Obama, d’Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau (Galaade, 8 euros).
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