Philosophie de la maison 

Une recension de Octave Larmagnac-Matheron, publié le

« De la maison […] la philosophie a toujours fait peu de cas » : dès l’origine, elle s’est pensée par rapport à la cité et a fait de la ville le seul « théâtre » digne d’intérêt. C’est sur ce constat critique que s’ouvre le nouvel ouvrage d’Emanuele Coccia. L’espace domestique est devenu un « reste » obscur : « Écoles, cinémas, restaurants, bars, musées, discothèques, commerces, parcs, rues […] : c’était en dehors de la maison que le monde se faisait réellement expérience. » Le bonheur « a prétendu devenir un fait politique, une réalité purement urbaine. » En réalité, dans ce glissement, nous avons perdu le sens même du bonheur. Nous avons besoin de maison pour être heureux, car habiter signifie la capacité de « tisser des relations intenses avec certaines choses et certaines personnes, […] d’accueillir, dans une forme d’intimité, la portion du monde », sans laquelle nous ne pouvons nous épanouir. Le culte de la ville nous a condamnés à oublier ce bonheur enraciné. Fort heureusement, cependant, les demeures « publiquement anonymes » n’ont jamais disparu. Elles n’ont cessé de soutenir dans les ténèbres la vie urbaine qui, sans elles, serait invivable. Et font aujourd’hui leur grand retour. Avec la généralisation des nouvelles technologies, notamment, « c’est dans la maison que l’excitation des sens semble devoir avoir lieu », désormais. Mais ce retour du domestique est en même temps un mouvement d’expansion – c’est toute la richesse de l’approche de Coccia. Là où la ville se pense comme une ouverture sans enveloppe, notre vie numérique est enchâssée dans une coquille tellurique : « C’est dans des objets faits de pierres et de minéraux – les ordinateurs – que nous enregistrons tous nos souvenirs et nos pensées. […] La planète nous a envahis. » Se dessinent alors les contours d’une nouvelle maison, qui n’est pas seulement la nôtre mais la Terre elle-même.

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