Mémoires I et II de Simone de Beauvoir

Une recension de Victorine de Oliveira, publié le

Le choix est à la fois un brin étonnant et intéressant : ajouter à la liste des rares femmes publiées dans la Pléiade le nom de l’une des autrices féministes les plus importantes… en omettant son manifeste le plus célèbre, Le Deuxième Sexe. Ces deux volumes de Mémoires rassemblent les écrits autobiographiques de Simone de Beauvoir : Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge, La Force des choses, Une mort très douce, Tout compte fait, La Cérémonie des adieux, ainsi que des extraits de carnets et de journaux intimes. De l’enfance des promesses à sa vieillesse, c’est à la naissance puis à la maturité toujours inquiète d’une écrivaine que nous assistons. Beauvoir ne cesse de s’ausculter, de scruter en elle le débordement des mots face à un monde si vaste, si plein. Quand ses camarades Sartre ou Merleau-Ponty se penchent, à grand renfort de phénoménologie, sur la description du monde, des phénomènes et des conséquences de la contingence sur la liberté humaine, elle conjugue cette liberté à la première personne du singulier et en raconte l’apprivoisement. Chez Sartre, la liberté est donnée – on y est même condamné, selon sa célèbre formule. Beauvoir est moins catégorique. Celle qui vient d’un milieu bourgeois où le mariage est le seul horizon raisonnable d’une jeune fille sait bien qu’il s’agit plutôt d’une conquête. C’est à la force non seulement du poignet qui manie la plume, mais de son corps désirant tout entier, qu’elle impose son cheminement. On lui a souvent reproché son sérieux et sa prose guindée – ah ! ces féministes qui n’ont pas d’humour… Mais c’est toujours avec ironie qu’elle se souvient de ses premières virées dans les cafés parisiens où un seul cocktail suffit à lui faire perdre ses bonnes manières, ou de ses escapades forcenées tous les dimanches dans les calanques de Marseille : voilà l’enjeu. Risqué ? Beauvoir le reconnaît, ne passe pas sous silence certaines expériences malheureuses. L’apprentissage de la liberté se fait à l’extérieur, un espace que les femmes d’aujourd’hui n’ont pas fini de revendiquer. Lire Beauvoir, c’est encore et toujours pouvoir se dire : « moi aussi ».

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