Les Temps modernes. Art, temps, politique

Une recension de Antoine Rogé, publié le

La guerre froide terminée, la perte de foi dans les lendemains qui chantent nous condamne-t-elle à un « présentisme généralisé », comme le diagnostiquait l’historien François Hartog en 2003 ? Cette schématisation de l’Histoire n’est pas fidèle à la complexité des Temps modernes, telle que l’analyse Jacques Rancière dans ces quatre conférences, que l’on peut aussi lire comme une traversée des grands thèmes qui inspirent son travail. Pour le philosophe, le propre de la modernité est d’articuler plusieurs temporalités dans un « conflit des temps » irrésolu. Car enfermée dans le présent, notre époque ne cesse pas pourtant de se projeter vers un horizon idéal : celui d’une prospérité capitaliste justifiant la liquidation des acquis sociaux. C’est au fond, selon Rancière, un prolongement de la vision marxiste du sens de l’histoire, elle-même héritée d’Aristote : dans la Poétique, celui-ci opposait, d’un côté, l’enchaînement causal conférant aux événements leur direction et leur nécessité (c’est le temps du pouvoir et des experts qui « savent »), de l’autre, la succession des jours de labeur, répétition inintelligible aux travailleurs. Mais Rancière montre que du sein même de la vie ordinaire miroite parfois le « tissu sensible de la vie nouvelle », fait de fragments de temps qui sont déjà des fragments de sens. Comme les « vagues », propres aux chorégraphies d’Isadora Duncan, réconcilient activité et passivité dans une temporalité commune.

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La Méthode de la scène / Jacques Rancière / Entretiens avec Adnen Jdey / Éditions Lignes / 144 p. / 15 €.

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