Les Foudres de Nietzsche
Une recension de Victorine de Oliveira, publié lePreuve que l’héritage de Friedrich Nietzsche n’en finit pas de déchirer ses lecteurs : la parution simultanée de deux essais qui s’aventurent dans des directions radicalement opposées.
Tout d’abord, Barbara Stiegler s’intéresse au tournant pris par Nietzsche avant la folie et à son étude tardive d’ouvrages de biologie et de sciences de la vie. Selon elle, le philosophe entendait faire du corps vivant le socle de sa pensée. La vie repose sur deux activités essentielles : l’évolution et la nutrition, soit l’acte de se nourrir, qu’il rebaptise « incorporation ». L’incorporation lui permet de penser la notion de métabolisme, c’est-à-dire l’ensemble des échanges entre un organisme et son milieu, ainsi que la mémoire, conçue comme faculté d’ingérer quelque chose d’autre en soi et d’en garder une trace. D’après lui, le vivant se trouve pris dans un flux permanent, accéléré par la révolution industrielle – « Tout est flux », remarque Nietzsche. Barbara Stiegler oppose ce flux nietzschéen à l’adaptation. Pour elle, s’adapter revient à se conformer à des contraintes extérieures, à « refuser de se transformer réellement soi-même et de transformer le monde autour de soi ». La philosophe fait donc de Nietzsche le penseur critique d’un certain type d’adaptation ou de flexibilité, ces dispositions que réclame justement le néolibéralisme naissant à la fin du XIXe siècle.
De son côté, Jacques Bouveresse emprunte un chemin complètement différent dans un livre achevé juste avant sa mort, en mai 2021. Il dresse le portrait d’un Nietzsche défenseur de l’ordre établi et d’une société de classes qui nécessite l’asservissement du peuple et de la classe ouvrière pour que l’élite se dégage de toute contrainte matérielle. Il fait donc ici la peau aux lectures de Foucault, de Deleuze et, plus généralement, au nietzschéisme « de gauche ».
Comment expliquer un tel écart entre ces deux ouvrages ? C’est que les deux auteurs ne puisent pas aux mêmes sources, la première s’appuyant sur des notes et fragments posthumes non mis en forme, le second sur l’œuvre éditée du vivant de Nietzsche. Mais, au-delà d’une querelle d’interprétation, se pose la question de ce qu’est lire aujourd’hui une pensée aussi polymorphe et contradictoire que celle de Nietzsche : penser à partir de, quitte à éluder certains aspects, comme le fait Stiegler ? Ou tenter de revenir à une forme de fidélité au texte, comme le propose Bouveresse ? S’il faut trancher, on est tenté de répondre que la proposition de Barbara Stiegler semble plus féconde pour notre temps.
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