Les désarçonnés: collection littéraire dirigée par Martine Saada

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Ceci n’est pas un roman. Depuis longtemps, Pascal Quignard a abandonné tous les genres littéraires. Contre le rôle social de l’écrivain, contre l’idée même de société humaine, il a « quitté la meute », « arrêté d’obéir ». Il écrit. Anachorète lettré, il creuse la solitude, le silence et la nuit. Ne pas parler, ne rien entendre, ne rien voir : c’est l’expérience première, quasi utérine ; Pascal Quignard ne cesse de la revivre, cette « vie cachée, désirante, inassouvie, profonde », dans les mots, dans leur musique, dans leur étymologie. Il y a dix ans, il a ouvert son Dernier Royaume, dont Les Désarçonnés est le tome VII. On pourrait sans fin chercher à identifier cet objet littéraire : essai, conte philosophique, poème… À le décrire : fragments, morceaux, petits tableaux… L’exercice serait vain : on ne domestique pas la pensée sauvage. Car il s’agit bien de cela : de pensée. Pas de la pensée ronde, pas du savoir, surtout pas de la philosophie qui invente la raison pure, des arguments et des preuves. De la pensée, donc du langage, donc de la littérature, donc des éclats, déchirements, apories. De l’inconfort : « Il faut que la pensée soit capable de désobéir à tout ce dont la pensée, la pensance, la pendance, la dépendance, dépendent. » La pensée sauvage prend dans cet opus-là l’image du désarçonné : « Saint Paul, Abélard, Agrippa d’Aubigné se mettent à écrire parce qu’ils sont tombés de cheval. » Le désarçonné est celui qui renaît dans le renversement : jeté à terre comme s’il allait mourir, aveuglé, littéralement sans connaissance, pour revivre, voir une lumière nouvelle dans un temps « continûment neuf ». À partir de ce thème, Quignard navigue à vue, chevauchant le temps, cherchant dans l’œil d’un cheval de quoi retraverser la « détresse originaire » de l’homme.

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