Le temps de la consolation

Une recension de Catherine Portevin, publié le

1. La règle et le détour

En analysant la rhétorique du consolateur, chez Platon, Boèce, ou dans les « lettres de consolation » de l’âge classique, l’auteur définit les règles rationnelles de la consolation, sa « grammaire ». Le consolateur ne peut soulager la souffrance de la perte mais atteint « la souffrance de la souffrance » qui isole l’affligé du monde commun. Consoler est donc un acte social, qui retisse le lien entre singulier et universel, mais par des voies détournées (sur le modèle de la métaphore) : la perte n’est pas annulée mais la peine peut se figurer autrement dans des ordres de sens stables comme la nature (plus grande que moi et que mon malheur), la communauté (qui accueille mes larmes et pleure avec moi) ou le langage (des mots disent la douleur muette).

 

2. La désolation des Modernes

Pourquoi cette rationalité de la consolation est-elle devenue inopérante pour nous ? Si les Anciens se consolaient du présent par la réminiscence des ordres originels (nature, communauté, logos), le regard des Modernes s’oriente vers l’avenir par la volonté de connaître (Kant) – un avenir incertain contrairement aux évidences de la tradition. À partir du XVIIe siècle, la philosophie a donc renoncé à satisfaire le besoin de consolation qu’elle a abandonné au religieux ou à la psychologie en le rangeant parmi les croyances et illusions suspectes. Michaël Foessel fait de ce moment un événement philosophique crucial. Dès lors, le sujet moderne doit se consoler « d’une consolation devenue impossible ».

 

3. L’inconsolé vs. le réconcilié

Si nous vivons le « temps de la consolation », c’est à condition de demeurer « inconsolé ». Cette figure de l’inconsolé, qui affronte la désolation, prend acte des pertes du passé, et proteste contre les manques du présent, s’oppose à celle du « réconcilié », issu de la philosophie spéculative hégélienne, qui a abandonné l’espoir de consolation et se réconcilie avec le négatif (ou la perte) jusqu’à s’y rendre insensible, en y voyant l’occasion d’une « nouvelle vie ». Après cette longue discussion avec Hegel, Michaël Foessel réhabilite la force éthique et critique de la tristesse : l’inconsolé est celui qui, sans renoncer à agir, refuse autant la restauration des ordres anciens que d’acquiescer à la perte du sens ou aux injonctions à « faire son deuil ».

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