Le ciment des choses

Une recension de Henri de Monvallier, publié le

01_Du ciment

Empruntant l’image du « ciment » à Émile Meyerson (1859-1933) qui se demandait, à propos de la cause et de l’effet, s’il y avait « un lien, un ciment qui les rattache l’un à l’autre », Claudine Tiercelin se propose d’établir une métaphysique scientifique réaliste. De cette métaphore, découle une question : qu’y a-t-il de réellement solide dans notre connaissance du réel ? L’enjeu est bel et bien que le mur ne se fissure pas : il s’agit de répondre aux objections sceptiques, relativistes et de proposer une nouvelle manière de faire de la métaphysique à la lumière de la tradition analytique, dans laquelle s’inscrit l’auteur.

 

02_Une métaphysique scientifique

Claudine Tiercelin est la première philosophe du Collège de France, comme elle l’a rappelé, en mai dernier, lors de sa Leçon inaugurale, à avoir inscrit le terme de « métaphysique » dans l’intitulé de sa chaire, « Métaphysique de la connaissance ». Mais de quelle métaphysique s’agit-il ? Après les grandes déconstructions dont elle a fait l’objet depuis la fin du XIXe siècle, quel peut être le sens de cette activité ? L’auteur entend pratiquer la métaphysique non pas comme une pensée des fins dernières de l’homme ou du monde, mais comme la délimitation la plus rigoureuse possible du cadre conceptuel de la connaissance scientifique. « Tenir compte de la science ne signifie pas s’en laisser conter par elle, encore moins se laisser hypnotiser, comme l’a souvent rappelé Meyerson, par la dernière théorie en vogue, au seul motif qu’elle est la dernière », précise la philosophe.

 

03_La question du réalisme

Cette métaphysique scientifique se veut aussi « réaliste », c’est-à-dire qu’elle revendique l’idée qu’il y a bien un « réel » ou une « réalité » indépendants de l’esprit, que celui-ci ne produit pas (idéalisme, le réel est ma représentation), ne construit pas (constructivisme, le réel n’est qu’une construction) et auxquels il peut avoir accès dans une démarche de connaissance. Pourquoi être réaliste aujourd’hui ? « Si nous sommes incapables de faire la différence entre l’apparent, l’illusoire, l’idée ou le possible, le principe de réalité aura tôt fait de nous rattraper. Il nous faut être gouverné par la réalité pratiquement sous peine de ne plus pouvoir distinguer les questions auxquelles on ne peut pas répondre de celles auxquelles on le peut. » Un livre dense, technique et ambitieux qui fera date dans l’histoire de la philosophie française de tradition analytique.

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